Coiffure et ongleries

onglerie

« Tout est possible quand un climat de confiance est établi entre l’entreprise et notre équipe de santé au travail » situe le docteur Annie Van de Walle, médecin du travail à l’AST 62-59. « Nous pouvons alors mener des recherches et des investigations qu’une TPE n’a pas les moyens d’entreprendre. C’est le cas de ce salon de coiffure de six salariés, pour lequel nous avons établi la Fiche d’entreprise ». En observant les tâches effectuées, l’attention a été attirée par la pose de prothèse ongulaire, qui fait appel à de nombreux produits. Ces produits sont des cosmétiques. Ils échappent donc à la règlementation des produits chimiques sur les lieux de travail. De jeunes femmes sont amenées à les manipuler plusieurs heures par jour. Pour elles, ces produits sont-ils si anodins et inoffensifs ? Réponse après plusieurs heures de recherches bibliographiques et d’études sur le terrain…

A l’AST 62-59 (Santé au Travail d’Arras-Béthune-Hénin-Lens), tout a commencé avec un groupe de travail sur les risques au sein des TPE. Parmi celles-ci : les salons de coiffure. Ce groupe a alors mis au point un guide pour la visite des locaux, un modèle pour la fiche d’entreprise et des documents d’information pour les salariés et les employeurs. Lors de la visite d’un salon de coiffure, l’attention du docteur Annie Van de Walle, médecin du travail, et de Véronique Dollet, assistante en santé au travail, est attirée par les tâches de manucure… La technique utilisée, (dite du « gel ») pour la pose de prothèse ongulaire fait appel à de nombreux produits aux différentes étapes de travail. « Il n’est pas possible d’installer une extraction mécanique ! Nous avons recensé tous les produits, pour en identifier tous les composants. Pour cela, j’ai fait appel à Claire Delpierre, toxicologue industrielle à l’AST 62-59 ». Commence alors « un travail de fourmis » digne d’une véritable enquête.

Des investigations très pointues

« Dans un premier temps, nous avons essayé de récupérer sur place un maximum d’informations. L’entreprise a été très coopérative. C’est essentiel ! » nous explique Claire Delpierre. Car, il a fallu prendre les produits cosmétiques un par un. Faire l’inventaire des flacons. Déchiffrer les étiquettes. Lister les composants. Se rapprocher des fournisseurs pour avoir communication des Fiches de Données de Sécurité. Ces fiches colligent, en matière de risque chimique, les différentes caractéristiques du produit et de ses composants ; elles éclairent sur les risques induits. Sur 10 produits, seulement 4 Fiches de Données de Sécurité ont été obtenues. « Nous avons fait des mesures instantanées de poussières fraction inhalable et de Composés Organiques Volatils (COV) sur un poste de travail, afin d’établir des profils d’exposition. Ceci nous a permis de vérifier la qualité de l’air respiré par les jeunes femmes qui posent les ongles artificiels ». Les investigations ne se sont pas arrêtées là. Claire Delpierre a mené une recherche bibliographique, sur les bases de données scientifiques, nationales et internationales. « Nous avons fait tout cela, avec le docteur Annie Van de Walle, parce que la question n’était pas anodine. Nous voulions vérifier l’absence de risque Cancérogène Mutagène et Reprotoxique. Et repérer l’existence éventuelle de composants sensibilisants pour la peau des opératrices ». Les mesures instantanées dans l’air respiré ont été possibles grâce à un photo-détecteur (PID) et un capteur de poussière portées par une salariée. Ceci se fait avec un relevé précis des tâches effectuées, pour pouvoir relier les taux atmosphériques avec les phases et les techniques de travail.

Des résultats précis

« Les mesures de taux atmosphérique sont très précises. Il faut les interpréter au regard des valeurs limites quand elles existent, des connaissances scientifiques actuelles et des tâches effectuées. C’est un travail collectif. Pour cela j’ai réalisé des supports et un exposé, afin que notre groupe de travail puisse en discuter avant restitution à l’entreprise » nous précise Claire Delpierre. Un produit nettoyant des pinceaux s’est révélé particulièrement volatil. Les résultats en poussières fraction inhalable se sont révélés non négligeables ; ils sont liés au ponçage des ongles. La bonne ventilation du local est recommandée. La pose d’une table aspirante peut faire partie des solutions techniques. Un des produits manipulés comporte un composant classé niveau 2 (selon le CLP) pour le risque Cancérogène Mutagène et Reprotoxique (Classement reconnu au niveau international). Il est donc prudent de lui trouver un produit de substitution. Par ailleurs, le port de gants fin nitrile (avec changements entre chaque patient et après contact accidentel) et le lavage des mains, des bras et du visage prennent une importance toute particulière. Les bijoux sont à éviter. Les pinceaux doivent être tenus propres sans produit sur les manches. Le but est de mettre en place des mesures de protection individuelle et collective efficaces et accessibles pour l’entreprise.

Une plaquette de sensibilisation

Les résultats sont rendus sous une forme très visuelle pour pouvoir les expliquer aux salariés et à l’employeur. En outre, Véronique Dollet, assistante en santé au travail a réalisé une plaquette de sensibilisation, validée par le groupe de travail. Ceci permet de donner une information accessible, pratique et robuste, aux salariés et leurs employeurs. Les obligations d’employeur méritent d’être rappelées. Le dialogue au sein de l’entreprise prend alors toute son importance. Il est facilité par le sérieux et l’objectivité des investigations réalisées. « C’est un travail d’accompagnement de l’entreprise que les salariés et l’employeur ont fort apprécié  ».

De l’entreprise à la branche professionnelle

Dans le respect des secrets professionnels, l’intérêt de cette démarche est de pouvoir alerter et informer la branche professionnelle. « C’est ainsi que tout ce travail, entrepris pour une entreprise, acquiert toute sa performance. Car les moyens mis en œuvre par l’AST 62-59 ont été très importants. En partant d’une entreprise, on peut ainsi aider toutes les entreprises. C’est un retour sur investissement de la cotisation de médecine du travail ! Il en va aussi de la crédibilité de notre travail médical et scientifique » conclut le docteur Annie Van de Walle. Et d’ajouter : « Tout ceci est étonnant. La coiffure et l’onglerie sont des domaines très soft, où l’on prend soin de soi… ».

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Un peu de toxicologie industrielle

Pour étudier les phases de remplissage d’ongle en gel, deux techniques ont été utilisées :

• Mesure des poussières fraction collectée (ou inhalée), avec l’AM510 de TSI ; la concentration la plus haute obtenue est de 0,5 mg/m3 (Valeur Limite d’Exposition Professionnelle : 10 mg/m3).
• Mesure des Composés Organiques Volatils (COV) par un capteur à photoionisation (PID) de Rae ; les concentrations les plus hautes sont obtenues lors de l’utilisation du Cleaner triple action, du Primer, du Base Coat (1° gel), du Super dégraissant et du Pré-épilation tonique (désinfection du matériel).

Un des produits (Base Coat) contient de l’hydroquinone qui est classé C2 et M2 (selon le CLP). Un produit contient du Méthacrylate de Méthyle, qui nécessite une mesure atmosphérique tous les ans par un organisme accrédité.

(Publié dans le N°26 : Des réponses à vos questions) le 19/05/2014

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LE GROUPE DE TRAVAIL

Le groupe «1/3 temps dans les TPE»   Créé en 2006, ce groupe de travail a pour objectif de faciliter le 1/3 temps dans les TPE qui représentent 80 % des entreprises suivies par le service. Peu d’outils existaient pour aborder cette typologie d’entreprises, un «dossier conseil» comportant divers documents utiles à l’employeur a vu le jour, tout en s’enrichissant au fil des années. Le groupe travaille par métier ou par secteur d’activité et crée des supports adéquats en fonction des besoins.

Composition :

Dr Annie VAN DE WALLE, médecin référent du groupe, assistée de Christine BAYART, chargée de communication.

et de :

Marie Noëlle ALLUIN et Isabellle BOURDON, médecins du travail,

Cindy DESGARDIN, assistante en Santé au Travail,

Virginie DRAIN et Valérie FOUQUET, techniciennes HSE.

 

Possibilité au groupe de faire appel à d’autres compétences en fonction des besoins ou des problématiques rencontrés, soit en interne (Ingénieur, toxicologue, diététicienne…) ou en externe.