Jean- François Gehanno, Professeur des universités et praticien hospitalier, CHU de Rouen

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interview

« Certains employeurs sont très ouverts aux nouvelles approches apportées par leur service de prévention et de santé au travail »

Médecine et santé au travail : le suivi individuel de santé au travail est un suivi individualisé

Professeur des Universités et praticien hospitalier au CHU de Rouen, membre de plusieurs sociétés savantes, Jean-François Gehanno reste d’une étonnante simplicité. Nous le remercions d’avoir spontanément répondu à nos questions. Au CHU de Rouen, Jean-François Gehanno dirige le centre ressource de pathologie professionnelle et environnementale orienté sur la connaissance des milieux professionnels, le diagnostic et la prévention des maladies professionnelles. Il dirige aussi le service de santé au travail, qui assure le suivi individuel des personnels médicaux, paramédicaux, techniques et administratifs au sein du CHU, soit près de 10 300 personnes sur 170 métiers. À ce titre, son équipe pluridisciplinaire participe au maintien dans l’emploi et mène des actions en milieu de travail pour la prévention des risques professionnels. Son parcours professionnel et la qualité de ses travaux scientifiques lui confèrent un regard très averti sur la définition et la mise en oeuvre du « suivi individuel de santé au travail ».

E&S Depuis l’année universitaire 2017-2018, le titre de spécialité « Médecine du travail » est devenu « Médecine et santé au travail ». Qu’est-ce que cela change ?

Jean-François Gehanno : Pour les étudiants en médecine, j’ai envie de dire : « Pas grand chose ! », au sens où il s’agit toujours
d’une spécialité médicale, qu’ils choisissent dans le cadre de leur cursus d’étude. Et pourtant, pour l’évolution du métier, cela change beaucoup ! Cette dénomination « Médecine et santé au travail » permet de mieux décrire les évolutions de la spécialité. En 1946, lors de sa création, le métier de médecin du travail est centré sur la réalisation, pour chaque salarié des entreprises privées, de visites médicales annuelles systématiques pour déterminer l’aptitude médicale au poste de travail. Depuis les années 2000, les services de médecine du travail sont devenus des services de santé au travail. Ils apportent aux entreprises et à leur salarié le suivi individuel de santé au travail, l’accompagnement personnalisé au maintien en emploi, la promotion de la santé et des actions de prévention primaire en milieu de travail. Il fallait donc acter ce qui, sur le terrain, se faisait déjà.

E&S On parle aujourd’hui de suivi individuel de santé au travail plutôt que de visite médicale annuelle. Pourquoi ?

Jean-François Gehanno : Le suivi individuel de santé au travail permet d’adapter le rythme et le type de visites, ainsi que les examens complémentaires, aux particularités du salarié et de ses conditions de travail. Ce suivi individuel est assuré par une équipe : médecin de santé au travail, médecin collaborateur, interne en médecine, infirmière(ier) diplômé(e) d’état en santé au travail (IDEST). Cette équipe est, bien sûr, assistée par des secrétaires médicales. « Suivi individuel » certes, mais surtout « individualisé » ! Par exemple, nous n’allons pas suivre de la même façon une femme enceinte, un salarié porteur d’une maladie chronique, un salarié en deuxième partie de carrière, un apprenti selon son secteur d’activité (ex. : boulanger, coiffeur, restauration, BTP, etc…), un travailleur de nuit, pour lequel le syndrome métabolique apparaît dans les tous premiers mois, etc. On parle bien de « santé au travail », c’est à dire d’un suivi pouvant être réalisé par des infirmières(iers) formées en santé au travail et des médecins de santé au travail. Ces infirmières(iers) de santé au travail, qui ont donc des compétences spécifiques acquises par la formation et l’expérience, permettent ainsi de libérer du temps médical. Ce temps médical est alors consacré aux situations les plus complexes.

E&S Cependant… De nombreuses entreprises sont restées attachées au principe de cette visite médicale annuelle ! Que peut-on leur dire ?

Jean-François Gehanno : Soyons clair. La visite médicale annuelle en médecine du travail n’a jamais fait la preuve de son efficacité. Il faut savoir le reconnaître et le dire ! Il en est de même pour la réalisation de « bilans de santé systématiques » en médecine générale… Aujourd’hui, tout ceci est très documenté sur le plan scientifique, aux niveaux internationaux et nationaux. Ceci étant rappelé, il en résulte une certaine inégalité au niveau des employeurs. Certains employeurs sont très ouverts aux nouvelles approches apportées par leur service de prévention et de santé au travail. D’autres employeurs restent effectivement très attachés à la visite médicale annuelle. Or, les services de prévention et de santé au travail, qu’ils financent, ont d’autres compétences que de réaliser des visites médicales annuelles systématiques. Comme nous venons de le dire, nous sommes aujourd’hui, à l’ère du suivi individualisé de santé au travail, de l’aide à l’évaluation des risques, du maintien en emploi des salariés en difficulté de santé et de la promotion de la santé en milieu de travail.

E&S Cela se traduit par une diversification des visites ?

Jean-François Gehanno : La question de fond est : quand la visite médicale n’est pas orientée et adaptée : quelle est son utilité ? La réponse, très documentée sur le plan scientifique, est : elle est inutile. La vraie question devient donc : dans quelle mesure les visites médicales et infirmières en santé au travail s’adaptent à la situation du salarié ? Cela se fait sur délégation de la part du médecin auprès des infirmières(iers). Et grâce à un travail en équipe. Une autre question se pose alors : comment ces visites médicales et infirmières créent de la confiance et du lien ? Un indicateur existe : le nombre de visites à la demande du salarié. Ce nombre augmente, dans l’ensemble des Services de santé au travail. Si la confiance existe, le salarié va consulter en cas de souci. De ce fait, la visite médicale est requalifiée. D’une visite médicale systématisée, on passe à une visite médicale adaptée à chacun… Elle s’avère beaucoup plus compliquée à réaliser. Il y alors une vraie « plus-value médicale ».

E&S Est-on encore sur des examens paracliniques systématiques, identiques pour tout le monde ? Ou plutôt sur des examens paracliniques ciblés et orientés ?

Jean-François Gehanno : Nous sommes sur des visites médicales et infirmières régulières, au sens où elles sont programmées tous les ans, tous les deux ans, voire tous les cinq ans. Mais les examens paracliniques réalisés sont différents en fonction des publics. Par exemple : on ne suit pas de la même façon une femme enceinte et un salarié exposé aux agents cancérogènes-mutagènes-reprotoxiques (CMR). Nous devons être encore plus vigilants si une femme en âge de procréer est exposée aux CMR. Cet exemple montre combien l’expertise médicale nécessaire est de haut niveau. Il faut appliquer un diagnostic de situation précis et prescrire des solutions adaptées.

E&S La loi du 2 août 2021, visant à renforcer la prévention en santé au travail dans les entreprises, stipule que les services de prévention et de santé au travail apportent une offre socle aux entreprises. En conclusion, que peut-on en dire ?

Jean-François Gehanno : La loi officialise ce qui se faisait déjà : suivi individuel de santé au travail, accompagnement pour le maintien en emploi d’un salarié en difficulté de santé, aide à l’évaluation et la prévention des risques professionnels. Aujourd’hui, c’est donc sanctuarisé dans les textes législatifs et règlementaires. On a une meilleure lisibilité de ce qu’apportent les services de prévention et de santé au travail. Avec cette offre socle, les entreprises peuvent mieux en prendre conscience.

Biographie express Jean-François Gehanno

Docteur en médecine et diplômé d’un master en toxicologie environnementale, Jean-François Gehanno a démarré sa carrière comme praticien hospitalier au service central de médecine du travail de l’Assistance publique Hôpitaux de Paris. En 2001, il devient maître de conférence au CHU de Rouen :

  • Depuis 2004 : Membre puis expert auprès du Haut Conseil de la santé publique
    • Membre de la commission spécialisée sécurité des patients
    • Membre de la commission spécialisée maladies infectieuses et maladies émergentes
  • Depuis 2010 : Professeur des universités au CHU de Rouen
  • Depuis 2011 : Chef du service de santé au travail et du centre ressource de pathologie professionnelle et environnementale du CHU de Rouen
  • Depuis 2016 : chef du pôle Santé publique, évaluation et Support médical du CHU de Rouen.
  • Depuis janvier 2019 : Président de la sous-section 46-02 du Conseil National des Universités ; Ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.

Jean-François Gehanno est également membre de l’équipe Traitement de l’Information en Biologie Santé (TIBS), au sein du Laboratoire d’Informatique, du Traitement de l’Information et des Systèmes (LITIS, EA 4108) de l’ université de Rouen Normandie. Ses travaux de recherche portent sur la bibliométrie et l’accès à l’information en santé.

(Publié dans le N°67 : La subvention prévention des risques ergonomiques) le 03/07/2024

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