Delphine Hosy, Intervenante en prévention des risques professionnels (Dreets des Pays de la Loire), conférencière en santé et sécurité au travail
« Gestion de crise : l’humain est au coeur de la réussite »
“Anticiper les crises” constitue l’un des volets du Plan régional santé travail Hauts-de-France 2021-2025. Animé par la Dreets (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités), ce Plan régional associe l’ensemble des acteurs régionaux et locaux en matière de santé au travail et de prévention des risques professionnels. Au sein de ce Plan, le comité technique « Anticiper les crises » a demandé à Delphine Hosy de bien vouloir l’accompagner. Elle a accepté de répondre aux questions d’Entreprise & Santé. Delphine Hosy met l’humain au coeur de ses réflexions sur la santé sécurité au travail et la préservation de l’environnement, en intégrant les démarches qualité.
E&S / Entrons dans le vif du sujet ! Avez-vous un exemple de crise liée à la santé sécurité du travail pour une TPE ou une PME ?
Delphine Hosy : « Oui. Et même plusieurs… Une des crises majeures pour une TPE ou une PME est l’accident du travail mortel. Soudainement, la vie de l’entreprise est bouleversée dans son fonctionnement. Dans l’urgence, il faut mobiliser les secours comme les pompiers, le SAMU, puis il faut faire face aux enquêtes de police, de l’inspection du travail ou encore déclarer l’accident auprès de l’assurancemaladie, etc. L’outil de production à l’origine de l’accident peut être mis sous scellé pendant plusieurs semaines, voire mois, le temps de l’enquête. La vie de l’entreprise est également bouleversée sur le plan humain. C’est un véritable choc psychologique sans égal. Nécessitant une organisation particulière et adaptée, la crise est un phénomène d’ampleur, avec un pic d’urgence et de souffrances, puis une redescente émotionnelle et organisationnelle. On voit bien comment l’entreprise doit soudainement travailler et dialoguer avec des interlocuteurs qu’elle ne connaît pas, pour prendre des décisions qui peuvent mettre en jeu sa propre survie. Il y a d’autres exemples de crise : pénurie de main-d’oeuvre et/ou de matières premières, incendie, longue maladie d’une personne clef, cyberattaque, etc. La crise peut donc aussi résulter de facteurs externes. Les récentes inondations dans les Hauts-de-France en sont un exemple ».
E&S / Comment définissez-vous une crise ?
Delphine Hosy : « La crise est une situation imprévue, au sein de laquelle des personnes vont se rencontrer et devoir travailler ensemble pour trouver une solution rapide. Elles doivent développer entre elles dans l’urgence, voire l’improvisation, la synergie, la confiance, l’écoute, la cohésion, la coordination et la coopération pour pouvoir prendre sans délai des décisions adaptées. Chacun transmet à l’autre une information essentielle pour que les décisions soient prises pour assurer la viabilité et protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Tout cela se fait sous un stress important. A ce sujet, il n’y a pas de crise sans impact psychosocial. Les risques psychosociaux sont intrinsèques à la notion de crise. Dans une crise, l’entreprise est temporairement désorganisée de par le syndrome de stress post-traumatique, les états de confusion pouvant être vécus par les travailleurs, la perte de l’outil de production et de clients, les impacts économiques… L’entreprise peut « ne pas s’en remettre » et devoir fermer… Par exemple, lors d’un incendie deux entreprises sur trois ne s’en relèvent pas. Une crise est toujours facteur d’anxiété, d’angoisse et d’insécurité au travail ».
E&S / Avons-nous une définition « officielle » de la crise ?
Delphine Hosy : « La norme internationale ISO 223611 définit la crise comme étant « un événement ou une situation anormal ou extraordinaire qui menace un organisme ou une communauté et exige une réponse stratégique, adaptative et en temps utile, afin de préserver sa viabilité et son intégrité ». Cette définition mérite d’être complétée en intégrant les travailleurs, puisqu’ils sont la valeur essentielle d’une entreprise ».
E&S / Comment faire face à une crise ?
Delphine Hosy : « L’accepter et la reconnaître. Le déni n’est pas un processus de gestion de crise. C’est un leurre qui va aggraver la situation et les impacts psychologiques. La mise en place d’une cellule de crise est la meilleure attitude, avec des gens formés, sensibilisés, capables de gérer le stress et de traiter plusieurs informations en même temps, pour des prises de décisions immédiates et adaptées. Le cas échéant, il faut accepter de se faire accompagner par des personnes d’expérience, d’humanité et de dialogue ».
E&S / On dit souvent que l’on peut anticiper une crise. C’est vrai ?
Delphine Hosy : « Je pense que oui. Nous pouvons prendre une analogie médicale, dans laquelle nous retrouvons le mot « crise » : la crise cardiaque. Il y a des facteurs de risques (tabac, hypertension, etc.) et des signes avant coureurs (fatigue, douleurs, etc.). Nous savons tous qu’il nous faut maîtriser nos facteurs de risques et repérer le plus tôt possible les signes avantcoureurs. Face à une crise, nous avons le même schéma. Prenons l’exemple des inondations. Il existe des facteurs de risques : le niveau de la mer, la construction en zone inondable, l’imperméabilisation des sols, leur nature argileuse, le détour du lit naturel des cours d’eau, etc. Quant aux signes avantcoureurs comme les précipitations, leur durée, leur intensité, la montée des eaux, etc., ceux-ci peuvent nous être communiqués par Météo France. L’analyse du contexte, de l’environnement et les systèmes de veille permettent d’anticiper. Cependant la crise qui va arriver est toujours différente de celle qui aura été prévue ».
E&S / Plus concrètement… Existe-t-il des méthodes d’anticipation des crises ?
Delphine Hosy : « Il faut évaluer et analyser le contexte interne et externe, l’environnement, la vulnérabilité de l’entreprise. Quelle que soit la crise, il y a toujours plusieurs facteurs de risque associés. On peut donc établir des scenarii de crises potentielles. Il faut alors les tester avec les interlocuteurs concernés : collaborateurs, clients, fournisseurs, professionnels de la santé et la sécurité au travail, etc. Il faut aussi anticiper la relation avec les médias. Tester, se coordonner et coopérer avec différents interlocuteurs est essentiel. Bâtir les retours d’expérience et les partager permet d’identifier les points forts et les axes de progrès ».
E&S / Oui, mais tout cela prend du temps…
Delphine Hosy : « Le temps d’expérimentation est parfois long. Mais cela permettra d’en gagner et surtout d’être plus efficace et mieux préparer face à une nouvelle crise. Prendre le temps d’un retour d’expérience post-crise est capital, voire vital pour l’avenir de l’entreprise. Nombre d’entreprises ont déjà vécu une crise, soit à titre individuel (incendie, cyberattaque…) ou à titre collectif comme avec la récente crise sanitaire de la COVID-19. L’erreur majeure serait de se dire : " C’est bon, ça y est… j’ai déjà vécu. Maintenant, je sais ! ". La crise est toujours imprévue et nouvelle. Considérer ne pas ou ne plus être concerné par une crise serait une autre erreur. Nous sommes dans une époque où les facteurs de risque sont réels : sociaux, économiques, environnementaux… A ce sujet, une crise est toujours plurifactorielle et pluridimensionnelle avec des éléments qui interagissent entre eux. C’est l’approche dite "systémique" ».
E&S / Un patron de TPE ou PME a l’habitude de prendre des risques… Il est donc prêt pour les crises ?
Delphine Hosy : " Prendre des risques " est différent de " gérer une crise ". Le risque se définit comme l’effet de l’incertitude. Le processus d’évaluation des risques, qui est la base de la prévention des risques professionnels, prend du temps. Par la suite, il permet de définir les mesures de prévention ainsi que les moyens de maîtrise nécessaires à l’élimination ou à la réduction du risque. Lors d’une crise, comme nous l’avons dit, il y a bien sûr des facteurs de risque qu’il importe d’évaluer. Mais la gestion d’une crise relève d’une toute autre dynamique. Tout va très vite et il importe de démontrer des capacités de flexibilité, d’adaptation, d’écoute ou encore de processus collectif de décision. Dans une crise, de nombreux interlocuteurs et acteurs internes ou externes à l’entreprise, interviennent. Et si la crise s’installe dans la durée, une nouvelle organisation du travail sera à inventer pour maintenir l’activité. Il ne faut pas non plus oublier qu’au-delà du prescrit comme le plan de continuité de l’activité par exemple, quand la crise survient, ce sont aux situations réelles que nous nous confrontons. Là encore, l’humain est au coeur de la réussite ».
Biographie express
Ayant démarré sa carrière dans la Marine nationale, Delphine Hosy s’est ensuite réorientée pour travailler aussi bien auprès des entreprises privées que pour des administrations publiques. Avec plus de 2O ans d’expérience dans le domaine de la santé sécurité au travail et l’environnement, elle a tiré de nombreux enseignements qu’elle partage aujourd’hui avec une grande simplicité. Tout au long de sa vie professionnelle, elle a bénéficié de nombreuses formations, estimant qu’il faut toujours progresser et actualiser ses connaissances.
- 1992-2000 : Engagement dans la Marine nationale en tant que météorologiste-océanographe
- 2000-2004 : Animatrice qualité et environnement dans un groupe de récupération de métaux ferreux et non ferreux
- 2004-2008 : consultante Qualité Sécurité Environnement (QSE) et responsable d’audit QSE pour un organisme certificateur
- 2008-2017 : Création de Hévidens Consulting, gérante et consultante, formatrice, auditrice QSE
- 2015-2023 : Enseignante chercheuse en prévention des risques professionnels dans une école d’ingénieurs
- Depuis mai 2023 : Création de Holi Shanti, gérante et consultante, formatrice, auditrice et conférencière en santé et sécurité au travail.
Delphine Hosy est intervenante en prévention des risques professionnels (IPRP DREETS des Pays de la Loire). Elle est aujourd’hui également thérapeute éducatrice en santé holistique, centrée sur l’accompagnement individuel et personnalisé pour le rétablissement du bien-être des particuliers face à la souffrance au travail.
1 Norme ISO 22361:2022 " Sécurité et résilience, Gestion de crise, lignes directrices"
(Publié dans le N°65 : Inondations : la santé au travail mobilisée) le 04/01/2024
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