Daniel Camus, professeur de médecine à l’université de Lille

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« Pour essayer d’arrêter la progression d’une maladie infectieuse, il faut construire un mur de pierres. La vaccination est une pierre essentielle ! ».

 

« Avoir une aération correcte est aussi capital ».

Grâce, notamment, au déploiement de la vaccination, la sortie de la crise Covid-19 devient envisageable. Du « vaccinodrome » au professionnel de santé le plus proche, en passant par les services de santé au travail, chacun peut donc trouver vaccination à sa convenance. Reste à comprendre pourquoi la vaccination est une « pierre » essentielle pour endiguer l’épidémie de Sars-CoV-2. Infectiologue à l’Institut Pasteur de Lille, professeur de médecine à l’Université de Lille, Daniel Camus a consacré sa vie à la maîtrise du risque infectieux. Très pragmatique, toujours didactique et réceptif à toute innovation, il a accepté de nous éclairer sur les enjeux de cette vaccination.

Covid-19: pour éviter la maladie, la vaccination !

E&S Quel est le principe général de la vaccination ? 

Daniel Camus :  Vacciner, c’est amener l’organisme à reconnaître un agent infectieux, en créant un premier contact entre le système immunitaire et cet agent infectieux, rendu pour cela non pathogène. Sans avoir la maladie, on éduque le système immunitaire, c’est à dire les défenses naturelles de l’organisme vis-à-vis de cet agent infectieux. Si, un jour, on est en contact une nouvelle fois avec l’agent infectieux, " le vrai ", notre organisme réagira vite et fort, en empêchant le développement de la maladie. Si on laisse faire la maladie naturelle, il y aura aussi éducation du système immunitaire… Mais en payant un lourd tribut !

E&S Sans vaccination, quelles maladies seraient encore présentes parmi nous ? 

Daniel Camus : Prenons, pour exemple, la France et ses 11 vaccinations obligatoires, depuis le 1er janvier 2018, chez l’enfant de moins de deux ans. Il s’agit des vaccins contre la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la poliomyélite, la rougeole, les oreillons, la rubéole, l’hépatite B, la méningite à méningocoque C, la pneumonie à pneumocoque et l’Haemophilus influenzae B, responsable de graves méningites. Le bilan est très clair ! On ne rencontre plus de diphtérie. Le nombre de tétanos a été réduit à quelques cas par an en France. On n’a pas vu de poliomyélite depuis des dizaines d’années. La coqueluche a diminué, mais reste un problème. Le nombre de rougeole, rubéole, oreillons a largement diminué, mais pas autant que voulu. Le nombre d’hépatite B a diminué. Il existe encore des cas de méningites à méningocoque, mais cette maladie est devenue rare... Les atteintes neurologiques liées à Haemophilus Influenzae B ont disparu. Par ailleurs, au niveau mondial, la variole a été complètement éradiquée de la surface du globe. Vaccination recommandée et non obligatoire, le BCG a concouru à réduire l’incidence de la tuberculose, qui reste une préoccupation majeure pour les populations pauvres et précarisées. Donc, la vaccination permet de réduire, voire de faire disparaître des maladies. On cherche encore un vaccin pour le paludisme et le VIH. Attention ! Si on lève la garde, la maladie reprend le dessus. Cela se voit, par exemple, avec la rougeole, qui est très contagieuse et requiert de ce fait une couverture vaccinale de 95 % des enfants. 

E&S Quelle est la particularité des vaccins Covid-19 ?

Daniel Camus : Jusqu’à présent, pour fabriquer un vaccin, on produisait en très grande quantité l’agent infectieux, pour le rendre atténué, inactif, tué, ou en extraire une partie. Bref, pour le rendre inoffensif, mais reconnaissable ! En cas de contact, le système immunitaire peut alors faire son travail. Pour les quatre vaccins Covid-19, actuellement autorisés en Europe et en France, on a procédé différemment. A sa surface le virus SARS-CoV-2 a des protéines, les fameuses protéines " Spike ", qui lui permettent de se fixer sur les récepteurs présents à la surface d’une cellule, pour s’y introduire et se reproduire. Toute seule, cette protéine est inoffensive. On fait donc produire par les cellules de l’individu vacciné, cette protéine " Spike ". Le système immunitaire la reconnaît comme étant étrangère, et fait alors également son travail.

 

E&S Pour la Covid-19, la vaccination est-elle la seule réponse possible ?

Daniel Camus :  Pour arrêter la progression d’une maladie infectieuse, il faut construire un mur de pierres. Chaque pierre est différente et essentielle. S’il manque une pierre, le virus s’engouffre ! L’immunité vaccinale est la plus grosse pierre du mur. La vaccination doit être associée à d’autres moyens de lutte. Par exemple, le dépistage et l’isolement, pour prendre en charge les personnes positives. En sachant que la Covid-19, est souvent silencieuse. C’est à dire sans symptômes. Par ailleurs, les mesures d’hygiène restent essentielles : port du masque, respect des distances, lavage des mains, confinement en aérant les locaux. Quant aux traitements, nous n’avons pas actuellement de traitement spécifique. Nous avons des traitements symptomatiques, dont la réanimation pour les cas les plus graves.

E&S Que dire à propos des « vaccins à ARN » ?

Daniel Camus : Il faut comprendre leur mécanisme. Une cellule est une machine qui produit " des tonnes " de protéines. Pour cela, l’ADN, code génétique situé dans le noyau de la cellule, fabrique un ARN messager. Celui-ci donne l’ordre à la machine cellulaire de fabriquer une protéine donnée. Cela ne fonctionne jamais en marche arrière : un ARN messager ne peut pas donner de l’ADN, ni le modifier. Ces vaccins ne présentent donc pas de risque génétique. Pour la Covid-19, ces vaccins à ARN messager donnent l’ordre de faire de la protéine " Spike ".

 

E&S Les vaccins Covid-19 ont été mis au point en un an… Peut-on leur « faire confiance » ? 

Daniel Camus : Oui ! Car on n’a pas été trop vite… on s’est juste donné les moyens d’aller vite ! Avec quatre leviers : la cible était déjà identifiée, la durée de fabrication a été plus courte, les délais d’enregistrements ont été réduits, les coûts des essais thérapeutiques ont été pris en charge par les Etats.

 

E&S La cible était déjà identifiée… pouvez-vous préciser ? 

Daniel Camus : Tout à fait ! Ce n’est pas la première fois que nous sommes confrontés à une épidémie de coronavirus. En 2002-2004, en Asie, le virus SARS-CoV-1. En 2012, en Arabie, le MERS-CoV. En 2019, le SARS-CoV-2. On savait déjà que si on empêchait l’ancrage du virus sur une cellule, en neutralisant donc sa protéine Spike, il reste à l’extérieur et ne peut pas vivre plus de quelques heures.

 

E&S : Le vaccin Covid-19 peut être produit plus vite qu’un vaccin habituel….

Daniel Camus : Dans un vaccin habituel, on produit d’abord l’agent infectieux : cela demande des mois et des mois. Par exemple, pour que le vaccin de la grippe soit disponible pour la 3e semaine de septembre, sa mise en production démarre en février ! Pour la Covid-19, on gagne du temps, parce qu’on n’a pas besoin de produire le virus SARS-CoV-2 en quantité. Donc, les délais sont tout naturellement raccourcis.

 

E&S : Les délais d’enregistrement ont été réduits. Comment cela est-il possible ?

Daniel Camus : En modifiant les procédures, sans modifier le procédé ! Je m’explique. Les protocoles ont été strictement respectés : tous les essais ont été réalisés, puis validés par les différentes agences. Pour les vaccins Covid-19, les essais intermédiaires ont été analysés de suite. L’enregistrement s’en est donc trouvé accéléré. Sans précipitation.

 

E&S : Les essais thérapeutiques eux-mêmes ont été faits en un an ?

Daniel Camus : Les essais thérapeutiques représentent un coût très important, d’ordinaire supporté par les laboratoires. Il y a les essais de phase 1 sur des centaines de sujets, les essais de phase 2 sur des milliers de sujets, les essais de phase 3 sur des dizaines de milliers de sujets. Pour les vaccins Covid-19, les états ont payé ces essais. Ce financement public, très conséquent, a permis de réaliser, en toute rigueur, les essais sur une année.

 

E&S Devrons-nous actualiser les vaccins chaque année, à l’instar de la grippe ?

Daniel Camus : Oui, c’est tout à fait possible, compte tenu des variants. Mais l’urgence, c’est 2021, avec les vaccins actuels ! La couverture vaccinale idéale se situe à 80 % des adultes. Cela sera atteint au mieux début 2022. Et la vaccination de l’enfant pourrait compenser l’insuffisance de couverture des adultes. Mais il nous faut, aussi et surtout, ne pas relâcher les mesures barrières en 2021.

 

E&S Quel conseil donneriez-vous à une TPE ou une PME ?

Daniel Camus : L’entreprise " ne porte pas le chapeau " de cette épidémie. Mais elle a un niveau de responsabilité dans sa propagation. Les protocoles sanitaires sont d’ailleurs bien respectés en milieu de travail. A ce propos, avoir une aération correcte est capital. Il faut donc vérifier le système d’aération : prise d’air extérieure, pas de recirculation, élimination au dehors. La purification de l’air ambiant demande une réflexion préalable. Si certains procédés sont efficaces, d’autres ne le sont pas. Attention au choix du matériel ! Dans ce contexte, la mesure du niveau de confinement peut être très intéressant. Cela se fait par la mesure du taux de CO2, avec des appareils qui coûtent moins de 100 €. Ces détecteurs ont une vertu pédagogique : au-delà de 800 ppm, il faut sortir et aérer. La pandémie de Covid-19 n’est pas seulement une crise sanitaire. C’est aussi une crise sociétale, économique, financière… Mais faisons confiance à la reprise de l’activité !

 

Bio Express

Pr Daniel Camus

Professeur de médecine à l’université de Lille, Daniel Camus est infectiologue à l’Institut Pasteur de Lille, au sein duquel il a créé en 2003 le Centre de prévention et d’éducation pour la santé. Chef du service du centre de vaccinations de 1976 à 2007, Daniel Camus, le transforme en centre de référence international, notamment pour les vaccinations du voyageur. En 2000, Daniel Camus a été lauréat du concours de création d’entreprise innovante du ministère de la Recherche, pour son initiative sur l’informatisation des banques de données sanitaires destinées aux voyageurs internationaux.

Spécialisé sur l’étude des relations hôte-agent infectieux, ses travaux de recherches font autorité. Il a notamment travaillé, en 1983-1985 sur un vaccin contre le paludisme, pour le Walter Reed Army Institute de Washington DC. A Salvador de Bahia, au Brésil, il a travaillé pendant deux ans sur la bilharziose. 

De 2007 à 2010, au ministère de la Santé, il a été chargé de la prévention et la gestion du risque infectieux. Il a été conseiller spécial du directeur général de la santé, au moment de la pandémie H1N1.

Au sein de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), il a été membre du groupe de travail « Global Action Plan ». Au sein du Haut Conseil de la santé publique jusqu’en 2017, il a été vice-président du Comité des maladies liées aux voyages et des maladies d’importation (CMVI). 

Il est membre de la Commission spécialisée maladies infectieuses et maladies émergentes, au sein du Haut Conseil de la santé publique.

 

(Publié dans le N°55 : La reprise, en santé !) le 05/07/2021

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