Philippe Amouyel, professeur de santé publique et d’épidémiologie, CHU de Lille

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"Nous avons trois objectifs simultanés : réduire la circulation du virus, baisser le niveau de contamination, vacciner"

"Au sein des entreprises, les protocoles sanitaires sont globalement respectés, autant par les employeurs que les salariés. Il faut le reconnaître"

Le 24 octobre dernier, Philippe Amouyel, professeur de santé publique et d’épidémiologie au Centre Hospitalier et Universitaire de Lille, publiait une tribune dans le Journal du Dimanche : " Covid-19 : Pour un confinement éco-compatible ". Il conseillait un confinement en dehors des heures de travail. Pour atteindre un double objectif :  maintenir l’activité économique et réduire la circulation du virus dans la vie privée. L’homme est rigoureux. Ses recherches font autorité à travers le monde. Ses propos ne sont donc pas passés inaperçus. Il a accepté de partager quelques réflexions avec les lecteurs d’Entreprise & Santé.

Covid-19 : vers la sortie de crise ?

E&S : Un an après le confinement du printemps 2020, avons-nous une perspective de sortie de crise en 2021 ?

Philippe Amouyel : « La réponse est simple : Oui ! Pour être plus précis : on peut s’en sortir complètement, ou s’en sortir partiellement. Complètement, c’est à dire sans gestes barrières. Partiellement, c’est à dire en maintenant les gestes barrières. Pour y parvenir, nous avons trois objectifs simultanés : réduire la circulation du virus, baisser le niveau de contamination, vacciner. Nous partons de haut : aujourd’hui, nous sommes à 40 000 personnes détectées par jour, c’est à dire positives au test PCR. Soit 8 fois le seuil de  5 000, attendu mais jamais atteint, en décembre dernier pour sortir du second confinement. Ce seuil n’est pas le fruit du hasard : c’est celui en dessous duquel, d’une part les capacités de réanimation ne sont pas débordées et, d’autre part le suivi des cas positifs est possible.
A 40 000 cas positifs détectés par jour : la "réa" est débordée, le suivi ou "tracing"
est trop lourd pour être efficace. »

E&S :Comment réduire la circulation du virus ?

Philippe Amouyel « La circulation du virus se mesure avec le coefficient de reproduction. Au niveau d’une population, c’est le nombre moyen de personnes qu’un porteur de virus contamine, avec ou sans symptôme, durant la période où il est contagieux. En décembre 2020, une personne contagieuse contaminait en moyenne trois personnes. L’objectif est grâce aux différentes mesures de lutte contre l’épidémie (mesures barrières, dépistage, vaccination) de redescendre en dessous d’une personne contaminée par personne contagieuse qui entraine le ralentissement puis l’arrêt de la circulation du virus. En janvier 2021, le variant " anglais " est arrivé : il est 40 à 60 % plus contagieux. Aujourd’hui, une personne contagieuse contamine donc en moyenne quatre personnes, voire cinq. Le confinement vise à réduire le nombre de contacts entre les gens. Les gestes barrières visent à éviter la transmission du virus, lors de contact. Attention ! Les gestes barrières, ce sont quatre mesures prises simultanément :  le masque correctement porté, le lavage régulier des mains, l’aération des locaux, la distance de 1m50 à 2 mètres entre deux personnes. Si une de ces quatre mesures n’est pas appliquée, le virus passera plus facilement à travers la barrière.

E&S :Il faut aussi baisser le niveau de contamination…

Philippe Amouyel« Oui ! Absolument ! Et pour cela, il faut isoler les personnes positives au test de dépistage. Quand on détecte  40 000 personnes positives au laboratoire, au moins 80 000 personnes sont sans doute positives dans la population. Car il faut ajouter les personnes qui n’ont pas fait le test, tout en étant porteuses du virus… La seule façon de connaître le nombre exact de cas positifs dans une population, c’est de faire un dépistage massif. Pour moi, il faut aussi faire confiance aux gens et leur répéter : « si vous êtes positifs, vous faites attention, vous restez prudents ». Autour de Noël 2020, nous faisions 3 millions de tests par jour supplémentaire, et nous n’avons pas eu de pics. C’était la stratégie « des gens responsables ». Aujourd’hui, nous avons les tests salivaires, que chacun peut faire tout seul. La France a enfin homologué ces tests salivaires1, mais nous devons les faire avec le pharmacien… En comparaison, chaque anglais a reçu gratuitement cinq tests salivaires chez lui à faire tout seul! L’idée est simple : si chacun peut faire son test salivaire à la maison, chacun peut donc contacter son médecin si le résultat est positif. Cela permet de prendre en charge et d’isoler très tôt les personnes positives et contagieuses. Il faut faire confiance aux gens, pour s’en sortir ! C’est ma conviction. »


E&S :Le troisième levier, c’est donc la vaccination ?

Philippe Amouyel«Effectivement. La vaccination permet d’augmenter le nombre de personnes qui, en cas de contamination, ne feront pas une forme grave de la maladie d’une part, et ne transmettront pas le virus, d’autre part. Aujourd’hui, au printemps 2021, on estime que 15 à 20 % de la population, en France, aurait été contaminée par le virus Sars-Cov-2, dont moins de la moitié aurait été dépistée. Ces personnes sont immunisées et donc protégées. Vacciner, c’est augmenter le nombre de personnes immunisées sans devoir subir les complications de la Covid-19, jusqu’à ce que la circulation du virus et le niveau de contamination chutent à un niveau acceptable pour que nous puissions créer tous ensemble une immunité collective qui nous protège durablement. En raison de la haute infectiosité du variant anglais majoritaire en France, il faut, pour cela atteindre 90  % de personnes immunisées dans la population, soit vacciner plus de 70 % des adultes. En regardant ce qui se passe à l’étranger dans la pays les plus en avance sur la vaccination, on dépasse très difficilement ce seuil. Pour l’atteindre, il faudrait vacciner 90 % des plus de 65 ans dans un premier temps et 70 % des 18-65 ans dans un deuxième temps. Attention : dans ce cas le virus continue de circuler chez les 20 millions de jeunes de moins de 18 ans non vaccinés. Sans doute, faudra-t-il élargir la vaccination aux 15-18 ans, dans un troisième temps. Cela demandera bien-sûr une réflexion préalable. »


E&S :Mais alors… il nous faut des vaccins ! Des millions de doses…

Philippe Amouyel«Il nous faut continuer à progresser ! Les objectifs sont clairs : 10 millions de personnes vaccinées à la mi-avril, 20 millions à la mi-mai, etc. Pour s’en sortir, il n’y a pas d’autres solutions. Effectivement, tout dépend aujourd’hui de l’arrivée des doses de vaccins, tout en tenant compte de l’efficacité de distribution et d’administration de ces vaccins et de l’acceptabilité dans la population. L’AstraZeneca2  est désormais réservé en France aux plus de 55 ans, il se conserve dans un réfrigérateur classique et peut-être administré facilement au cabinet du médecin, en pharmacie ou en entreprise. Le « Johnson and Johnson » arrive à la mi-avril : il s’administre en une seule injection. Il se conserve également avec un réfrigérateur classique. C’est un vaccin particulièrement adapté pour les populations qui sont difficiles à voir deux fois, à quelques semaines d’écart. Il y a toujours le Pfizer et le Moderna, qui requièrent des conditions de conservation et de stockage à moins 80° et une utilisation dans un délai très court une fois décongélés.  Le vaccin allemand Curevac devrait être homologué en juin. Il y a donc de réelles perspectives, avec plusieurs vaccins, d’atteindre l’immunité collective, en France, au 2d semestre 2021.»

E&S : En fait… tout ceci démontre l’importance de la prévention !

Philippe Amouyel« Il nous faut l’admettre et le reconnaître : au XXIe siècle, la prévention reste incontournable. On l’avait déjà compris avec la tuberculose au début du XXe siècle, même si la découverte de la Rifampicine a été un progrès pour le traitement. La quasi-disparition de la tuberculose est surtout liée au progrès socio-économiques et à l’hygiène. La tuberculose reste présente chez les populations précarisées et fragilisées. La prévention est d’une cruciale actualité… Ce nouveau virus le prouve !»


E&S :Et pour le monde du travail ?

Philippe Amouyel« Tout d’abord, au sein des entreprises, les protocoles sanitaires sont globalement respectés, autant par les employeurs que les salariés. Il faut le dire et le reconnaître. D’autant plus qu’il faut aussi continuer de travailler : on ne peut pas arrêter la vie économique. C’est impossible. En plus, les lieux de travail, dès lors que les protocoles sont respectés, ne sont pas des lieux de contamination massifs. Le développement du télétravail va considérablement modifier nos habitudes de travail et l’organisation des entreprises. Enfin, les entreprises et leurs services de santé au travail démontrent leurs capacités à vacciner, dans une relation de proximité et de confiance. Il faut comprendre les hésitations de nos concitoyens, face à cette vaccination. Et le monde du travail, avec les équipes de santé au travail, avec les médecins du travail, est propice à un dialogue personnalisé dans cette démarche de vaccination. C’est l’une des conditions de sa réussite. »

Biographie express

Philippe Amouyel

Médecin de renommée internationale, Philippe Amouyel est professeur d’Epidémiologie et de Santé Publique au Centre Hospitalier et Universitaire de Lille. Il dirige une unité de recherche de l’Inserm dédiée à l’épidémiologie des maladies liées au vieillissement (maladies cardiovasculaires et d’Alzheimer). Il a créé le laboratoire d’excellence Distalz dont l’objectif est le développement de stratégies innovantes pour une approche transdisciplinaire de la maladie d’Alzheimer. Il est l’auteur de plus de 800 articles scientifiques dans des revues internationales.

De 2002 à 2011, il a dirigé l’Institut Pasteur de Lille, et depuis 2008, il dirige la Fondation Alzheimer qui soutient au niveau national la recherche, l’innovation et la prévention.

Au niveau européen, il préside l’Initiative de Programmation Conjointe sur la recherche sur les maladies neurodégénératives qui regroupe 30 pays dont le Canada et l’Australie dans un effort de recherche mondiale afin de lutter plus efficacement contre ces maladies. Philippe Amouyel est membre du Conseil Mondial de la Démence créé par le G7.

Depuis un an, il s’est engagé avec le service de santé publique qu’il dirige au CHU de Lille dans la définition de stratégies de santé publique et de prévention, en alertant sur la survenue d’une deuxième puis d’une troisième vague épidémique de Covid-19.

1-Cette homologation a eu lieu le 11 mars 2021.

2-Depuis le 26 mars ce vaccin s’appelle « Vaxzevria ».

(Publié dans le N°54 : Mes risques, je les maîtrise !) le 14/04/2021

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