Interview Paul Frimat : « La qualité du dialogue au sein de l’entreprise est essentielle »
Professeur de médecine et santé au travail à la Faculté de Médecine de Lille, vice-président de l’Université de Lille II Droit et Santé, président du conseil scientifique de l’Anses (Agence Nationale de Sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’Environnement, du travail), président de l’Institut de Santé au Travail du Nord de la France (ISTNF), Paul Frimat a vu l’émergence des Risques Psychosociaux au sein du monde du travail, en tant qu’enseignant et chercheur. Il est aussi président et titulaire du Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles Nord-Pas-de-Calais – Picardie. Entreprise & Santé lui a demandé son éclairage sur trois notions qui sont souvent mises à la une des médias : la souffrance au travail, le stress chronique, le burnout.
Peut-on définir la souffrance au travail ?
Paul Frimat : L’expression est tellement galvaudée dans les medias qu’il est difficile aujourd’hui de retenir une définition de la souffrance au travail. En toile de fond, nous sommes une société en souffrance. Le chômage est une souffrance. Le travail peut être un révélateur du problème de mal-être de la société. Et on a tendance à rendre le travail responsable de tout. Cependant, nombre d’études et sondages confirment que 50 % des salariés sont heureux dans leur travail, 20 à 30 % en souffrent. La souffrance au travail est un modèle non défini. En fait, chacun d’entre nous a sa position d’équilibre et son dynamisme personnel. Chacun essaie de garder cet équilibre, quelles que soient les contraintes de la vie : personnelles, familiales, professionnelles, etc. Quand les contraintes sont trop importantes, on n’en est plus maître… et on les subit ! La souffrance peut alors apparaître. Or, le travail peut aussi être facteur d’épanouissement et de développement.
On parle alors de bien-être au travail…
Paul Frimat : Tout à fait. Les petits établissements semblent, d’ailleurs, réussir plus facilement à préserver l’entreprise collaborative et le bien-être au travail. Dans nombre d’entreprises, la hiérarchie a perdu la capacité de rentrer en contact avec les salariés. Parmi les contraintes rencontrées au travail, il y a, dans ces entreprises, la perte du collectif et du relationnel de proximité avec la hiérarchie, dans un contexte où on est de plus en plus jugé sur la performance individuelle. Aujourd’hui, il faut souvent écraser ses collègues, dans un système relationnel qui ne valorise plus le travail en équipe. C’est un problème de société. Parfois, tout s’additionne : la peur du chômage, l’absence de relationnel au travail, le métier qui évolue, les remontrances sans reconnaissance du travail fait, etc. Les risques psychosociaux sont une réalité dans le monde du travail, même si l’expression est utilisée en tous sens et sans précision. On va alors parler de stress, d’anxiété, voire de troubles dépressifs. Dans tous les cas, il faut pouvoir et savoir analyser la situation. Comprendre le pourquoi et le comment de la situation est un premier pas vers les solutions.
Que dire du stress chronique ?
Paul Frimat : Le stress n’est pas, en tant que tel, une maladie. C’est une réaction physiologique et normale à des contraintes. C’est un mode de défense, voire de survie. Si le stress est permanent, la situation est anormale. Soit le seuil de résistance de la personne est trop bas. Soit le déséquilibre est permanent, avec des contraintes trop élevées et récurrentes. La personne ne peut pas mettre la tête hors de l’eau et n’est plus en mesure de compenser. Tout peut basculer dans la pathologie. Si le stress est chronique, quelque chose ne va pas. Il faut savoir où est le facteur de contrainte que l’on ne sait plus contrôler. Il faut faire attention aux conséquences pathologiques de ce stress permanent : anxiété, nervosité, irritabilité. Voire, un syndrome d’anxiété générale, qui peut aller jusqu’un syndrome dépressif. En général, on n’ose pas en parler. On n’en parle pas assez vite… Et on en parle quand le mal est fait. Or, il faut faire le tri entre ce qui relève d’éléments extraprofessionnels, d’éléments professionnels et d’éléments personnels. Devant une situation de stress chronique, une question est fondamentale : pourquoi n’y a-t-il pas eu de démarche de prévention ? Où est le dialogue ? En plus, il y a une règle d’or : il faut préserver les trois dimensions, à savoir vie familiale, vie professionnelle, vie personnelle.
Comment définir le burnout ?
Paul Frimat : C’est un phénomène différent. Une personne investie, dans son travail ou ailleurs, se donne à fond. Elle vit des évènements qui vont remettre en cause ce qu’elle a fait et elle se déstabilise. Ces évènements peuvent être d’ordre éthique ou émotionnel, ou relever d’une surcharge mentale ou physique, voire d’une absence de considération… Elle envisage dans un premier temps de supporter ces évènements et elle résiste, jusqu’au moment où elle n’en a plus la force. Elle plonge alors dans un syndrome dépressif aigu et profond. Elle va mettre des mois à remonter. Parfois deux mois, parfois six mois, parfois plus… Il peut y avoir impossibilité de reprendre dans l’entreprise. J’ai connu un salarié qui, cent mètres avant l’entreprise, ne pouvait plus marcher. Le burnout est un phénomène très particulier. Il n’est pas nouveau, même s’il est fort médiatisé aujourd’hui. Il a été décrit dans le monde médico-social dans les années 70. On disait alors : « il a pété les plombs », au sens où la personne se trouve brutalement « balayée », alors qu’elle s’investissait énormément dans son travail, voire se surinvestissait. Des facteurs professionnels peuvent expliquer le phénomène du burnout. La question à se poser est donc : en quoi l’organisation du travail peut favoriser ou non le surinvestissement du professionnel. Attention : le burnout concerne autant des employés et des cadres, que des chefs d’entreprise. Des entreprises mettent en place des procédures qui limitent ce surinvestissement. Le travail ne doit pas être le seul objet d’occupation ou de préoccupation de la vie. Il doit y avoir des plages de ressourcement. Il faut se protéger du burnout en s’octroyant des temps pour soi.
Quel conseil donner ?
Paul Frimat : Il faut consulter son médecin du travail et son service de santé au travail, avant d’arriver en situation de burnout. C’est la question générale des risques psychosociaux, qui peuvent faire l’objet d’une évaluation et de plans d’actions et qui peuvent être inscrits d’ailleurs dans le document unique. Dans une entreprise de plus de 50 salariés, il faut mettre la question en débat au sein du Comité d’Hygiène, de Sécurité et Conditions de Travail. La qualité du dialogue au sein de l’entreprise est essentielle pour avoir des résultats en termes de prévention. Pour le chef d’entreprise, il ne faut surtout pas rester seul et vivre la question des risques psychosociaux comme une attaque personnelle. Il faut remettre à plat l’organisation de travail, qui a pu dériver au fil des ans, sous la pression du quotidien. Il faut savoir se poser à temps les bonnes questions. Pour cela, le médecin du travail et son équipe sont les premiers interlocuteurs, car ils suivent et accompagnent l’entreprise.
Devant une situation de stress chronique, une question est fondamentale : pourquoi n’y a-t-il pas eu de démarche de prévention ?”
(Publié dans le N°33 : Chefs d’entreprises, salariés et travailleurs indépendants: évitons le Burnout!) le 02/03/2016
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