Point de vue: le travail entre satisfaction et souffrance

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Dr Claude Buisset, médecin du travail PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord

Claude Buisset est médecin du travail. Elle est référente pour les risques psychosociaux à PÔLE SANTE TRAVAIL Métropole Nord. Sa démarche associe une pratique quotidienne de la médecine du travail, au contact des salariés, et une expertise reconnue sur les risques psychosociaux, au contact des publications les plus récentes. Elle intervient régulièrement, notamment auprès des partenaires sociaux, sur le thème : le travail entre satisfaction et souffrance.

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Les risques psychosociaux sont-ils nouveaux ?

CB: Non. Ils n’avaient pas été intitulés comme cela. Ils ont progressé avec l’évolution des modes de travail. Avant les années 80, on peut dire que les gens étaient « ensemble ». Il y avait une souffrance plus collective. Aujourd’hui, l’insécurité devant l’emploi s’est développée. Et il y a une individualisation importante dans le travail. La souffrance individuelle augmente avec le développement de modes de management qui mise sur l’individu plus que sur le collectif.

Y a-t-il une définition du risque psychosocial ?

CB: En tant que tel, non. On peut définir les troubles psychosociaux (malaise, souffrance, mal-être, stress, burn-out). Ce sont les conséquences sur la santé. Pour mémoire, le harcèlement est une notion juridique, et non clinique. Ce sont les contraintes qui rendent malade. Le travail ne rend pas malade en tant que tel. Mais les contraintes dans lesquelles il s’exerce peuvent être délétères. Si on regarde toutes ces contraintes, on peut évaluer les conséquences à court, moyen et long terme. Et se tourner vers un plan d’actions. Ce n’est donc pas une fatalité. Le risque, c’est la probabilité que les troubles se manifestent. Parler risque, permet de les intégrer dans le décret sur l’évaluation des risques, le document unique et l’obligation de prévention de l’employeur, tels que définis dans le Code du Travail.

Ce risque concerne-t-il que les salariés ?

CB: Non. Il concerne aussi le dirigeant. La probabilité d’avoir des troubles concerne tout être humain devant des contraintes. On parle de la « solitude du dirigeant », mais il a aussi plus de marges de manoeuvre.

Peut-on parler de bien-être au travail ?

CB: En tant que médecin, je ne peux pas. Pour maintenir la santé, il faut que « ce que l’on fait fasse sens ». Si je fais de la médecine humanitaire : ce que je fais a du sens… et je ne suis pas dans le bien-être. Le sens au travail est une notion complexe qui repose sur plusieurs dimensions, dont l’éthique, l’utilité sociale, par exemple. Le sens se construit dans la conscience de l’individu, car il repose sur les valeurs personnelles de cet individu. A un moment, il peut y avoir perte de sens. On a déjà entendu cette phrase cruciale : « cela n’a plus de sens ». On a déjà vu des personnes « rester le nez dans le guidon jusque la chute ». C’est alors l’infarctus, la tendinite, le « pétage de plomb », la dépression, voire d’autres troubles ou maladies. Mais répétons-le : le travail ne rend pas fou, les contraintes rendent fou !

Y a-t-il une activité plus concernée qu’une autre ?

CB: Non. Il y a risque psychosocial quand il n’y a pas de « collectif qui partage ». Quand il y a des personnes qui ne se parlent pas des difficultés et des contraintes. Il faut pouvoir échanger sur les différents points de vue. La question fondamentale, ce n’est pas le secteur d’activité, c’est la place de l’humain en entreprise. Le travail est un besoin fondamental dans nos sociétés. Il est ambivalent. Le travail est bénéfique et structurant s’il permet un apprentissage et crée du lien social. Mais si les contraintes sont trop lourdes, il peut être déstructurant ; ces contraintes peuvent alors entraîner des troubles ou une maladie.

La taille de l’entreprise joue-t-elle un rôle ?

CB: Oui et non. Les contraintes existent partout, mais différemment. Plus l’entreprise est grande, plus elles se complexifient, plus il y a de jeux d’acteurs avec autant de risques psychosociaux… Dans une TPE, ça passe ou ça casse ! On peut dire qu’on voit moins de risques psychosociaux, parce que les jeux, s’ils existent, perturbent plus vite l’entreprise ; or, celle-ci est plus fragile et ne peut pas forcement résister…

Peut-on mesurer le risque psychosocial ?

CB: Nous n’avons pas de « stressomètre ». Pour le poids, il y a la balance ; pour la taille, la toise. Nous avons des indicateurs de santé et des indicateurs de contraintes. Ceux-ci explorent plusieurs dimensions : l’environnement, les techniques, l’organisation, les comportements. La mesure ne sert à rien s’il n’y a pas échanges, voire discussions sur les résultats de ces indicateurs, au sein de l’entreprise.

Pouvez-vous nous donner quelques conseils ?

CB: Il faut repositionner le travail réel et ses contraintes dans le dialogue social de l’entreprise. Il faut prendre en compte l’homme au travail et parler « humain ». C’est l’homme qui est au coeur de l’entreprise. Enfin, on peut reprendre la pensée de Philippe Davezies : il faut être en forme, se sentir en capacité de décider, faire en sorte que ce que l’on fait constitue une histoire qui ait du sens.

Ce sont les contraintes qui rendent malade, pas le travail”

(Publié dans le N°11 : Bien au boulot, bien dans ma vie ? ) le 23/12/2010

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