Charlotte Lecocq, Députée du Nord

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« Chaque entreprise doit avoir la même prestation pour le même tarif. Avec un système de bonus-malus. Une entreprise vertueuse doit être récompensée »

Près d’un salarié sur deux en France travaille dans une TPE-PME. Chacune d’entre elles est concernée par le « rapport Lecocq », remis au Premier ministre le 28 août 2018. Son titre : « Santé au travail, vers un système simplifié pour une prévention renforcée ». Grâce à une cotisation identique pour l’ensemble du territoire national, les entreprises financeraient un organisme national et des agences régionales leur apportant des prestations lisibles pour la santé et la sécurité au travail. Merci à Charlotte Lecocq d’avoir accepté de répondre aux questions d’Entreprise & Santé.

E&S: Pour vous, la santé au travail est un facteur de performance globale de l’entreprise. Pourquoi ?

Charlotte Lecocq : Les hommes et les femmes qui composent une entreprise sont sa première source de performance, grâce à leurs compétences, leurs engagements, leurs énergies, leurs idées… Pour que chacun puisse apporter tout cela à l’entreprise, il faut des conditions de travail favorables, et préserver la santé physique et psychique de chacun. Pour une entreprise, agir pour la santé au travail a donc des effets directement positifs. C’est un levier de performances. Si l’entreprise n’investit pas, il y aura des dysfonctionnements, des désengagements des salariés et de l’absentéisme. Et une baisse d’efficacité pour l’entreprise.

E&S: Le dialogue social est au cœur de la santé au travail. Pour exemple, le Plan National Santé Travail et les Plans Régionaux Santé Travail reposent sur ce dialogue. Vous dîtes clairement que ce dialogue doit être renforcé…

Charlotte Lecocq : Un Plan Santé Travail, qu’il soit national ou régional, est une boussole. Son élaboration repose sur un dialogue entre l’État, les partenaires sociaux et les acteurs en santé au travail. Arriver à mettre en oeuvre ces Plans est plus difficile. Pour cela, nous souhaitons réunir les partenaires sociaux dans une agence régionale paritaire, de droit privé. Au niveau local, la petite entreprise n’a pas de représentant du personnel, mais le dialogue social y existe « en direct ». Pour les entreprises ayant un CSE, il faut intégrer la santé dans toute question de l’entreprise. Et pour cela, il faut former les salariés et les représentants du personnel.

E&S: Aujourd’hui, une TPE-PME paie différentes cotisations : cotisations AT-MP notifiées par la CARSAT, adhésion à un service de santé au travail interentreprises. Vous évoquez une cotisation unique collectée par l’URSSAF. Pourquoi ?

Charlotte Lecocq : Actuellement, pour nombre d’entreprises, le coût d’adhésion à un service de santé au travail interentreprises est vécu comme une charge. Le prix ne leur apparaît pas correspondre aux prestations dont elles bénéficient. Il est encore souvent dit que l’entreprise paie une visite médicale cinq fois plus cher que chez le médecin généraliste ! Or, il existe potentiellement un vrai service rendu aux entreprises, par les services de santé au travail, avec une offre de très grande qualité. Cependant il est rendu de façon très inégale d’une entreprise à une autre. Il y a un décalage entre la perception de l’adhérent et le service rendu au quotidien. L’entreprise doit pouvoir clairement identifier le lien entre ses cotisations et le service rendu, entre ce que lui coûte la santé au travail et ce dont elle bénéficie. Nous proposons de fusionner la cotisation au service de santé au travail avec la cotisation AT-MP, en renforçant le lien avec l’engagement de l’entreprise : « j’ai des résultats en santé au travail, j’ai une cotisation moins chère », versus « j’ai de mauvais résultats en santé au travail, je paie plus cher ». Cette demande a été très exprimée, très clairement, au sein des ateliers collaboratifs que nous avons animés. Après, demander aux URSSAF de collecter cette cotisation unique est une simplification.

E&S: Concrètement vous proposez de regrouper les compétences du Service de Santé au Travail, du Service Prévention de la CARSAT, de l’ARACT et de l’échelon régional de l’OPPBTP en une agence régional, paritaire et de droit privé. Comment préserver le service de proximité auprès des entreprises ?

Charlotte Lecocq : Il s’agit surtout de rassembler sous une même gouvernance et conserver le maillage territorial au plus près des entreprises. Les équipes des services de santé au travail sont leur premier interlocuteur. Il faut préserver ce niveau, développer et améliorer ce maillage territorial. Réunir les différentes compétences sous une même bannière n’exclut pas de les répartir sur tout le territoire. Bien au contraire ! Mais pas avec 10 structures, 10 conseils d’administration, de nombreuses conventions, de multiples comités de pilotage, etc. Il existe des territoires ou les différents partenaires travaillent déjà ensemble. Mais c’est inégal. Parfois, il y a même des doublons. Par exemple, plusieurs organismes font chacun un guide… sur le même sujet avec des contenus comparables. Au niveau régional, nous préconisons un conseil d’administration paritaire unique. Puis, une répartition des compétences fluide sur des moyens et des objectifs bien identifiés, avec une coordination et un management adaptés. Il faut optimiser les ressources, rassembler et éviter les déperditions de temps et de moyens. La pluridisciplinarité est une force. La proximité aussi. Il faut renforcer le lien de confiance et rendre les prestations plus lisibles. A ce propos, nous proposons de bien différencier le contrôle et la réparation d’une part avec la prévention d’autre part. L’agence régionale dédiée à la prévention doit être identifiée comme une alliée où chacun peut aller en toute confiance.

E&S: En première page de votre rapport, vos précisez que le terme « entreprise » fait référence tant aux employeurs qu’aux salariés qui la composent… Quels en seront les bénéfices pour l’entreprise ?

Charlotte Lecocq : Rassembler les compétences, c’est être plus fort et avoir une plus grande efficacité d’actions pour l’entreprise. Les employeurs et les salariés doivent avoir un interlocuteur clairement identifié pour toute question de santé et sécurité au travail. Le salarié doit pouvoir s’adresser en toute confiance à cet interlocuteur. Celui-ci doit pouvoir lui répondre en amont ou en aval de la visite médicale. L’employeur doit pouvoir être accompagné plus efficacement dans une démarche de prévention, avoir un meilleur retour sur investissement et s’engager de façon positive. L’agence régionale doit bénéficier d’une totale indépendance. Elle doit aussi travailler sur des priorités. Nous préconisons la mise en place d’une cellule pour les risques psychosociaux, qui pourra être contactée en toute confidentialité. Le travailleur indépendant doit pouvoir également y recourir. La santé du chef d’entreprise compte pour la santé de l’entreprise. Par ailleurs, la règlementation doit se focaliser, en priorité, sur la réalisation d’actions de prévention.

E&S: Le dispositif actuel ne répond-il pas à ces objectifs?

Charlotte Lecocq : Oui et non. De nombreuses PME et TPE ont accès au suivi de santé au travail… et ont peu accès aux autres prestations, tel que le conseil en prévention des risques professionnels. Le dispositif actuel ne répond donc pas à tous les besoins. Or, le conseil de proximité en santé et sécurité au travail nous apparaît essentiel pour les TPE-PME. Il faut aussi qu’il y ait plus d’équité : chaque entreprise doit avoir la même prestation pour le même tarif. Avec un système de bonus-malus. Une entreprise vertueuse doit être récompensée. Le travail des professionnels de santé au travail sera alors mieux reconnu.

E&S: Sous quels délais pensez-vous que vos préconisations seraient mises en œuvre ?

Charlotte Lecocq : Une négociation entre les partenaires sociaux est en cours. Un projet de loi est prévu en 2019. S’il est voté, cela suppose un à deux ans de préfiguration opérationnelle. La dimension ressources humaines sera très importante. Il faudra dialoguer et concevoir l’organisation territoriale et fonctionnelle la mieux adaptée pour garder la proximité et la complémentarité, au service des entreprises et de leurs salariés. Il y a aussi les aspects juridiques, administratifs, économiques… Si ce n’est pas pour demain : cela sera pour après-demain !

E&S: Quel conseil donneriez-vous à un patron de TPE ou PME ?

Charlotte Lecocq : J’appelle toute TPE et PME à investir dans la qualité de vie et la santé au travail. Cela constitue un axe fort de la stratégie d’entreprise, comme sa politique tarifaire, son organisation, son positionnement sur le marché, etc. Une PME ou une TPE est pénalisée si elle n’investit pas en santé au travail. Les entreprises ont besoin d’être aidées davantage et plus efficacement. C’est le sens de notre travail.

Lire la synthèse Entreprise & Santé du rapport : « Santé au travail, vers un système simplifié pour une prévention renforcée ». Charlotte Lecocq (Députée du Nord), Bruno Dupuis (Consultant senior en management), Henri Forest (Ancien secrétaire confédéral CFDT), avec l’appui de Hervé Lanouzière, (Inspection générale des affaires sociales).

photo C.Lecocq

BIOGRAPHIE EXPRESS
Charlotte Lecocq

Née en Guadeloupe en 1977, Charlotte Lecocq a grandi en avesnois, dans le département du Nord, depuis l’âge de trois ans. Diplômée en Techniques de commercialisation à l’Institut Universitaire de Technologies de Roubaix, elle obtient un master 2 en sciences sociales et gestion à l’IAE de Lille, puis un master professionnel de droit des relations sociales à l’Université de Lille II.

Consultante dans la mise en place des politiques publiques pour l’emploi et l’insertion, auprès de PME et TPE du secteur industriel et de l’Économie sociale et solidaire.
Consultante en ressources humaines auprès du secteur industriel
2009 : Crée son entreprise de conseil des PME, des TPE et des associations pour le développement économique (L-conseil).
2017 : Élue députée La République En Marche (6° circonscription du Nord) ; membre de la commission des affaires sociales et de la délégation aux Outremer à l’Assemblée nationale. Elle s’investit en particulier sur les questions de santé au travail, du vieillissement de la population et du handicap. Charlotte Lecocq a été membre bénévole des clubs Cigales (Club d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire) pour accompagner des porteurs d’entreprise.

1- Conseil économique et social : cette instance représentant le personnel résulte de la fusion (que les entreprises doivent réaliser pour le 1er janvier 2020) entre les Délégués
du personnel, le Comité d’Hygiène Sécurité et des Conditions de Travail, le Comité d’Entreprise.
2- Caisse d’assurance retraite et de santé au travail
3- Agence régionale d’amélioration des conditions de travail
4- Organisme professionnel de prévention du bâtimet et des travaux publics.

(Publié dans le N°44 : Ma santé, mon travail: où va-t-on?) le 18/10/2018

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