Interview: Emmanuel Laloux

Partager

Sur Arras, nous avons 10 adultes trisomiques en CDI dans des entreprises ordinaires

Emmanuel Laloux sait de quoi il parle. Sa fille, Eléonore Laloux, âgée aujourd’hui de 30 ans, travaille au service facturation de la clinique des Bonnettes à Arras. Chaque matin elle quitte son logement en plein centre d’Arras, prend les transports en commun et se rend au travail comme tout un chacun. Porteuse de trisomie 21, Eléonore Laloux a grandi sans recours à un établissement spécialisé, en menant sa vie quotidienne en milieu ordinaire. Ce fut la décision de ses parents. Ce savoir être, le couple Laloux le partage aujourd’hui avec d’autres familles, afin que chacun puisse faire de même, s’il le décide. D’où l’Association Down Up, dont Emanuel Laloux est le président.

L’association Down Up milite pour l’emploi en entreprise ordinaire de personnes atteintes de trisomie 21. Pouvez-vous nous citer des exemples ?

Emmanuel Laloux : Sur l’agglomération d’Arras, nous avons actuellement 10 adultes, en situation de déficience intellectuelle mineure, qui travaillent en milieu ordinaire. Par exemple, à la fromagerie La Finarde pour l’affinage des fromages et l’entretien des vêtements professionnels. Ou bien, à la mairie d’Arras, en CDI dans une crèche et en école maternelle. Ou encore à l’UPC, l’unité de préparation des repas du Centre Hospitalier d’Arras, qui produit 1 200 000 repas par an, pour l’approvisionnement et la préparation. Autre exemple : au Centre Social et la bibliothèque de la mairie de Beaurains. Vous voyez, ces emplois sont très différents les uns des autres. Nous faisons en sorte que les personnes elles-mêmes puissent choisir leur travail. Elles préservent ainsi leur envie de travailler. L’inclusion professionnelle est le premier pas de l’inclusion dans la vie d’adulte.

Comment trouvez-vous les entreprises ?

Emmanuel Laloux : Par le bouche à oreille ! Je m’explique : c’est la conviction personnelle de l’employeur qui va permettre l’embauche d’une personne porteuse de déficience intellectuelle, sur les mêmes bases contractuelles et managériales qu’un autre salarié de l’entreprise. En intervenant dans les clubs d’entreprise, nous avons engagé des échanges et des dialogues. Ils ont permis de changer le regard de quelques employeurs. Et ils ont essayé. L’association Down Up informe l’entreprise et lui apporte un environnement sécurisant, par le conseil et le suivi. Aujourd’hui, deux constats : d’une part, les entreprises qui ont essayé continuent et, d’autre part, nous avons plus d’offres d’emploi que de demandes ! Par exemple, nous avons un restaurant Mc Donald’s qui cherche pour son équipe…

Vous dites que cela enrichit l’équipe au travail…

Emmanuel Laloux : Oui. C’est un autre constat de notre expérience. L’arrivée d’une personne trisomique aide l’équipe à grandir. Cela fait évoluer les codes en place et les relations entre les personnes. Cela remet les différentes valeurs à leurs places respectives. Les petits conflits ou tensions sans intérêt disparaissent. Les témoignages convergent : quand Eléonore ou Mario sont absents, ils manquent. En même temps, il faut suivre ces inclusions professionnelles. Il faut expliquer aux entourages, discerner précocement les évolutions positives ou négatives et les anticiper. Des perspectives d’évolutions doivent être offertes à ces salariés, comme aux autres salariés. Par exemple, des plans de formation peuvent leur être présentés. C’est pour cela que Down Up envisage de créer en son sein une fonction de coach d’entreprise pour ces emplois.

Pouvez-vous nous présenter l’association Down Up ?

Emmanuel Laloux : Down Up est une association de parents, avec des trisomiques et des bénévoles non parent de trisomiques au conseil d’administration. Nous avons évolué avec l’âge de nos enfants. Down Up est un outil pour l’insertion sociale des personnes atteintes de déficience intellectuelle, telle que la trisomie 21. Cette inclusion sociale ne s’improvise pas. Elle demande un travail d’accompagnement. Attention ! Le pire ennemi est la compassion. Par exemple, il faut être exigeant avec ces employés comme avec les autres employés, en ayant une attitude empathique et non pas compassionnelle. Nous faisons de l’information des jeunes parents, pour l’éducation de l’enfant en milieu ordinaire, et de l’information pour des écoles d’infirmiers ou d’éducateurs. Nous travaillons avec un Centre de Diagnostic sur l’information des parents, tout en respectant les choix de chacun sans aucune condamnation ou prise de position dogmatique. Il s’agit de choix personnels et respectables. Nous travaillons pour promouvoir l’accueil en milieu scolaire ordinaire. De même pour les formations étudiantes ou adultes. Nous sommes intervenus pour créer des logements adaptés dans des immeubles ordinaires. Down Up est une sorte de laboratoire. Nous avons un projet de centre de recherche et d’échanges de pratiques. L’association a un seul salarié permanent : un développeur qui déploie les technologies rendant les appartements intelligents. Il a aussi créé un logiciel permettant la mise en commun des pratiques. Enfin, nous travaillons en réseau avec des associations partenaires pour l’aide à domicile ou l’élaboration des projets de vie.

D’où vient le nom Down Up ?

Emmanuel Laloux : Chez les anglo-saxons, la trisomie 21 s’appelle le syndrome de Down. Comme descente… Alors, nous avons ajouté Up. Comme remontée !

L’Ilot Bonsecours à Arras est une réalisation emblématique…
Emmanuel Laloux : Oui. Il s’agit d’un projet immobilier intégrant des logements pour nos trisomiques, implanté en centre-ville. C’est devenu une réalisation qui fonctionne depuis 2011. Ce projet audacieux a pu aboutir grâce à un bailleur social facilitateur, Pas de Calais Habitat, et le soutien du Conseil Départemental du Pas-de-Calais. Au final, il y a 75 logements, dont 10 logements pour trisomique 21, une crèche de 30 berceaux, des bureaux pour des associations, des TPE ou des professions libérales. Au total, 40 emplois ont été créés sur place. On se mélange. On se parle. On travaille. Une salle de convivialité rassemble une bibliothèque et des points internet, ainsi qu’une cuisine collective. Un espace vert partagé est implanté dans le jardin communautaire. Les personnes trisomiques signent un bail, louent un appartement, vont au travail. Une des locataires trisomiques assure des temps de lecture à la crèche. C’est un lieu de vie, où on est solidaire. La prévention de la solitude y prend tout son sens.

Vous dites que le handicap résulte du regard que nous portons…

Emmanuel Laloux : Une personne se comporte comme l’image que l’on a d’elle. Plus on regarde le trisomique comme un trisomique, plus on martèle sa déficience. Et on l’y enferme. Il s’agit de la même chose pour les personnes handicapées ou les personnes âgées. Dit autrement, la personne arrive à un résultat, si on la voit comme quelqu’un capable de le faire. De ce fait, si la personne y croit elle-même, elle y arrive. La boucle est bouclée. C’est un cercle vertueux. Ici aussi, il faut faire attention à la compassion. Au sein de l’Ilot Bonsecours, nous disons aux personnes âgées de na pas tutoyer systématiquement les personnes trisomiques, si elles ne les connaissent pas plus que cela. De même pour le service à domicile : si on fait trop à la place de quelqu’un, la personne ne saura plus faire par elle-même. On va systématiquement vers la mutualisation de la réponse, en partant d’une demande choisie par la personne. On arrive alors à un réseau de vigilance et d’aide. Par exemple avec les voisins ou l’employeur. Si la personne rate plusieurs fois le bus… il se passe quelque chose : quelqu’un de l’entourage se renseigne. On remet au goût du jour le bon sens solidaire. Être attentif à la personne, sans faire à sa place. Ce que nous faisons pour le trisomique, on peut le faire pour la personne âgée.

En quoi consiste le respect de l’autodétermination ?

Emmanuel Laloux : La vigilance que l’on porte à quelqu’un ne doit pas être un frein à la prise de décision par la personne elle-même. Et elle doit choisir pour elle-même en fonction d’elle-même. Elle ne doit jamais agir ou réfléchir pour plaire ou déplaire. Nous avons tous mis du temps à être autodéterminés. La vigilance consiste à amener la personne trisomique dans son autodétermination.

Quel conseil donner à un employeur, notamment en TPE ou PME ?

Emmanuel Laloux : Il faut impérativement sortir du tabou de la « lourdeur d’un handicap ». Le salarié trisomique a des besoins et des compétences spécifiques. Il faut les trouver. A partir de là, c’est du gagnant/gagnant.

BIOGRAPHIE express Emmanuel Laloux

Avec son regard apaisant et la précision de ses propos, Emmanuel Laloux sait convaincre. Son regard est celui d’un homme de l’Art. Son propos est le fruit d’une expérience familiale. Après des études de Dessin et de Peinture à l’école des Beaux-Arts de Lille et Paris, suivies d’une licence de filmologie, il peint, expose et enseigne. Puis, il rentre dans les affaires et la vie d’entreprise.

• 1986 Création d’une société de production de film d’images de synthèse, dont il devient, après reprise, le directeur artistique pendant 10 ans.

• 1996 Directeur de création et d’évènement dans l’agence de communication Tournant.

• 2002 Création de l’association Down Up.

• 2010 Création du collectif des amis d’Eléonore, dont l’objectif est de lutter au niveau français et européen contre la stigmatisation des personnes porteuses de la trisomie 21.

• 2011 Ordre National du Mérite

L’engagement d’Emmanuel Laloux et de son épouse est né avec la naissance d’Eléonore, en 1985. Porteuse de la trisomie 21, Eléonore a grandi en milieu ordinaire, sur la volonté de sa famille. Dans son livre « Triso, et alors ? » (éditions Max Milo), Eléonore Laloux témoigne.

(Publié dans le N°33 : Chefs d’entreprises, salariés et travailleurs indépendants: évitons le Burnout!) le 02/03/2016

A PHP Error was encountered

Severity: Notice

Message: Undefined index: navSearchListURL

Filename: frontoffice/mag-detail.php

Line Number: 258

A PHP Error was encountered

Severity: Notice

Message: Undefined index: navURLs

Filename: frontoffice/mag-detail.php

Line Number: 258

A PHP Error was encountered

Severity: Warning

Message: in_array() expects parameter 2 to be array, null given

Filename: frontoffice/mag-detail.php

Line Number: 258