Santé au travail: la Picardie, région pionnière !

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Il faut parler des entreprises et de ce que nous pouvons leur apporter pour assurer la santé de leurs salariés qui est un facteur majeur de leur rentabilité 

En 2000, au niveau national, le manque de médecins du travail fait l’objet de rapports officiels pour les années futures… Sur le terrain, des services interentreprises de « médecine du travail » sont déjà en difficultés. Des médecins du travail font légitimement valoir leurs droits à la retraite. Aucun jeune médecin ne se présente à l’embauche… C’est le cas de la Picardie. Afin de pouvoir répondre aux besoins des entreprises adhérentes, il n’y a alors qu’une seule solution : INNOVER ! François Désérable était directeur de l’ASMIS (Association de Santé et Médecine du travail Interentreprises de la Somme). Alain Mercier était directeur de MTA (Médecine du Travail de l’Aisne). Ils ont été, de ce fait, parmi les premiers acteurs d’une mutation : passer de la Médecine du Travail à la Santé au Travail. Entreprise et Santé les a rencontrés. Pour mémoire, dès 2002, le législateur officialise le changement de dénomination : « Service de Santé au Travail » au lieu de « Service de Médecine du Travail ». Près de 10 ans après, en 2011, une loi portant réforme de l’organisation de la médecine du travail est adoptée. Pendant ce temps, sur le terrain, les services interentreprises de santé au travail font face.

E&S: En prenant vos fonctions de directeurs, vous attendiez-vous à une telle évolution ?

FD : Quand j’ai pris mes fonctions de Directeur, en 1979, à Saint-Quentin, Maurice EHRET, qui avait dirigé le service depuis 1946, m’a dit : « des problèmes, j’en ai eu tous les jours mais le seul que je n’ai jamais pu résoudre, c’est le recrutement des médecins». Moi-même, 35 ans plus tard, je peux reprendre la formule à mon compte. Cela veut dire que trois générations d’hommes politiques n’ont pas voulu régler la question. Tant que la pénurie de médecins touchait la petite province, cela n’émouvait personne ; il a fallu que la pénurie touche Paris ou Lille pour que les «élites» se saisissent de la question.
L’élément majeur qui a déclenché le bouleversement des Services de Santé au Travail Interentreprises, c’est la directive européenne du 12 juin 1989, mais on en a pris conscience qu’au début des années 2000 avec la mise en œuvre de la pluridisciplinarité.
Pour le directeur que j’étais, le médecin du travail est devenu un collaborateur parmi d’autres. Et non plus le collaborateur unique. Mais sur le plan juridique, la responsabilité du service par rapport à la visite médicale est restée tout aussi importante.

AM : J’ai été médecin du travail avant d’être directeur. J’espérais cette évolution de la médecine du travail vers la santé au travail. Elle n’a pas été jusqu’au bout. Il faut encore plus d’aménagements pour faciliter la prise en charge du salarié et de son entreprise. L’aptitude médicale systématique perdure et est devenue une aberration. Ma réflexion personnelle a été accélérée avec l’obtention d’un Diplôme d’Etudes Supérieures Spécialisées en ergonomie. La visite médicale n’est pas le moteur de préservation de la santé du salarié ! De toute façon, face à la démographie médicale, ce n’est plus tenable… En 1978, l’obligation pour le médecin du travail de consacrer un tiers de son temps à des actions auprès des entreprises était déjà inapplicable dans l’Aisne, du fait du nombre de médecins du travail par rapport au nombre de visites médicales à gérer. En 2002, le manque de médecins du travail était déjà très important. Nous avons alors établi une priorisation dans l’organisation des visites médicales. Dans les mêmes années, nous avons proposé une prise en charge par des infirmiers formés à la Santé au Travail. D’ailleurs, la « Médecine du Travail » devenait la « santé au travail », dans les textes de loi. Tout ceci a été repris dans la contractualisation avec la Direction Régionale du Travail en 2007. Je regrette cependant les conflits inutiles entre les différents organismes, chacun voulant préserver ses prérogatives !… Le dialogue entre les professionnels de la médecine du travail et la Direction du Travail aurait pu être meilleur. Il nous fallait déjà réfléchir à un suivi par une équipe pluridisciplinaire… et non pas par un médecin seul face à une entreprise !

“Il faut parler des entreprises et de ce que nous pouvons leur apporter pour assurer la santé de leurs salariés qui est un facteur majeur de leur rentabilité”

E&S : En quoi, l’Aisne et la Somme sont-ils devenus des territoires d’innovations ?

AM : Par obligation. Devant la démographie médicale. Et parce que la personne omnisciente, qui saurait tout, n’existe pas. On a besoin de spécialistes et de différentes compétences dans différentes disciplines. On ne va pas payer un médecin du travail pour faire des mesures de bruit ! A chacun son métier. C’est une équipe qui est au service de l’entreprise ! Et l’entreprise a besoin de la réponse d’une équipe… les besoins des entreprises étant techniques et médicaux. Dès 2003-2004, apparaissent les risques psychosociaux. Les médecins du travail ne sont pas réellement formés. Dès 2006, nous avons, par exemple, apporté aux médecins du travail des formations complémentaires et embauché un psychologue du travail.

FD : Les années 80, que j’ai écoulées dans l’Aisne, n’ont pas connu d’évolution marquée ; c’est ensuite, à Amiens que j’ai vécu les expériences les plus significatives. D’abord en cherchant des médecins même non diplômés en Médecine du Travail. Les deux tiers des médecins que j’ai recrutés (56 sur 84) n’étaient pas diplômés en Médecine du Travail à leur embauche ; ils ont été accueillis à bras ouverts, notamment par les médecins du travail titulaires, et ont été, dès le premier jour, considérés comme médecins du travail à part entière, avec une seule obligation supplémentaire : suivre la formation diplômante. Ils n’ont jamais failli dans leur exercice et certains d’entre eux sont aujourd’hui des pointures de leur profession.  Aujourd’hui, ce n’est malheureusement plus possible de pratiquer ainsi. «On» a inventé un nouveau métier, celui de collaborateur médecin, à qui on dénie toute compétence. Je ne crains pas de dire que c’est infiniment stupide. Ensuite, il faut laisser chacun s’épanouir sur le sujet de son choix. C’est ce qui a permis des opérations remarquées tel que le prix européen de bonnes pratiques de prévention des risques psychosociaux obtenu grâce à l’initiative du Dr Helbecque, tel que le logiciel d’évaluation des risques toxicologiques inventé par le Dr Grivelet, telle que la création des outils d’aide à l’évaluation des risques professionnels développés par le Dr Van Der Biest, M. Trainaud et toute l’équipe pluridisciplinaire de l’ASMIS.
Pour développer la pluridisciplinarité, l’ASMIS a très largement favorisé la création du Conservatoire National des Arts et Métiers en Picardie et du master d’ingénierie de la santé au travail ; deux thèses de doctorat d’ergonomie ont été préparées dans le cadre de l’ASMIS, l’une soutenue par Rachel Ajroud, l’autre en phase finale par Alexandre Dedourge. L’ASMIS a été le premier service de santé au travail à recruter un psychologue du travail, un juriste, et, récemment, à être certifié par l’AFNOR dans le cadre de la démarche qualité de la profession. La première association régionale de médecine du travail a été créée en Picardie, il y a plus de 30 ans. C’est l’ARAMIE : Association Régionale des Associations de Médecine Inter-Entreprises. En 2007, a été fondé Picardie Santé, qui réunit les professionnels de la santé au travail et propose des actions régionales, tout en leur permettant de partager les outils disponibles.

E&S : En quoi, votre regard sur la Médecine du Travail a-t-il changé, sur ces dix dernières années ?

FD : Je pouvais m’attendre à la mutation vers la santé au travail, demain peut-être vers le bien être au travail, sous la conduite d’intervenants d’origines diverses. Mais je ne m’attendais pas à ce que le volet médical succombe par manque de médecins. Et comme toutes les autorités (Ministère, Conseil National de l’Ordre des Médecins, Universitaires, syndicats, etc.) partagent la même vision étroitement corporatiste du métier de médecin du travail, je ne vois pas d’issue possible en dehors de la démédicalisation et je le regrette infiniment. Le médecin du travail qui devrait rester un spécialiste des conditions de travail va devenir un expert du maintien dans l’emploi. Pour cela, il a toutes les compétences requises, l’expérience et l’indépendance nécessaires. C’est un métier d’un intérêt exceptionnel.

AM : On passe de la médecine à la santé. Et de l’individuel au collectif. C’est-à-dire qu’un salarié et son entreprise ne sont plus suivis par le seul médecin, mais par une équipe de santé au travail. Le message est difficile à faire passer : la cotisation de l’employeur ne correspond plus à une visite médicale pour chacun de ses salariés. Elle peut correspondre à une action collective auprès de la Branche Professionnelle, qui va bénéficier à chaque entreprise. Or, même de jeunes chefs d’entreprise attendent une visite médicale pour chaque salarié. Dans une entreprise, les salariés ne peuvent plus avoir de visites médicales, car il n’y a plus assez de médecins. Et elles bénéficient alors de conseils et visites sur les lieux de travail. Il vaut mieux aider l’employeur à maîtriser les risques à la source, que constater les conséquences sur la santé par la visite médicale… Quand une inaptitude est prononcée, c’est qu’il est trop tard… On peut penser à l’amiante ! C’est ainsi, que nous avons créé dès 2004-2005, les postes d’assistants en santé au travail, pour aller rencontrer les nouveaux adhérents ou pour aider le médecin du travail dans son action au sein de l’entreprise. Ceci a été légalisé dans la loi de 2011, relative à l’organisation de la médecine du travail. Soit près de 10 ans après…

E&S : Que dire à une TPE ou une PME face à ces évolutions ?

AM : Le temps de la visite systématique est passé. Le médecin du travail est le seul médecin, à même de gérer, de par ses missions et compétences, l’interface entre la santé et le travail. Le service de santé au travail est là pour éviter l’apparition d’un trouble, d’une lésion ou d’une maladie. C’est la prévention primaire. La plupart du temps, le service de santé au travail fait du dépistage ou prévention secondaire, voire de la réinsertion ou de la réadaptation, encore appelées prévention tertiaire. Secondaire ou tertiaire : le mal est fait ! L’important est d’empêcher, dans l’intérêt du salarié et de son entreprise, qu’une lésion apparaisse. C’est la prévention primaire. D’où l’importance de l’action sur les conditions de travail et par branches professionnelles. Les TPE / PME le souhaitent-t-elles ?

FD : Les évolutions de nos services importent peu aux PME / TPE. Pour elles, nous sommes des administrations à leur service. Il ne faut pas leur parler de nous, mais d’elles et de ce que nous pouvons leur apporter pour assurer la santé de leurs salariés qui est un facteur majeur de leur rentabilité.

E&S : Que souhaitez-vous ajouter ?

FD : J’ai eu la chance de faire un métier passionnant, avec des collaborateurs de haut niveau, tous tirant dans le même sens, au service des entreprises, pour la santé de leurs salariés. J’espère que ce que nous avons fait ensemble a été positif pour la santé au travail et la santé publique.

AM : Je souhaite que la volonté de passer de la médecine du travail à la santé au travail gagne les entreprises. Car il s’agit de répondre à leurs besoins. Pourvu que les partenaires sociaux s’imprègnent des besoins en santé au travail pour les entreprises et leurs salariés et non pas, uniquement, en besoin de visites médicales.

François DÉSÉRABLE

Juriste de formation, François Désérable s’est tourné vers l’enseignement supérieur en devenant enseignant vacataire puis secrétaire général de l’IUT d’Amiens. Puis il a pris les fonctions de directeur du service interentreprises de médecine du travail de Saint Quentin (de 1979 à 1989), puis celui d’Amiens (de 1989 à 2014).
• D.E.S. de droit des affaires, I.A.E.
• D.U. de communication des sciences de la santé

Il est par ailleurs engagé dans le secteur social et en faveur de l’éducation, conseiller prud’homme, administrateur de sécurité sociale.

Alain MERCIER

Médecin de formation, Alain Mercier s’est orienté vers la médecine du travail, après avoir exercé la médecine d’urgence. Il devient médecin du travail au service de Saint Quentin en 1975. Après en avoir exercé les fonctions de médecin coordonnateur, il en devient le directeur (de 2002 à 2012).
• Docteur en médecine, diplômé de spécialité en Médecine du Travail
• Diplôme de l’Enseignement Supérieur en Ergonomie de l’Université de Paris 1

Il est par ailleurs vice-président de la CPAM de l’Aisne, membre de la commission Prévention et de la commission Organisation des soins de l’Agence Régionale de la Santé de Picardie, représentant employeur à la Commission Régionale pour la Prévention des Risques Professionnels et à l’Observatoire Régional de la Santé au Travail.

(Publié dans le N°29 : Risque chimique: l'air de rien, tout se respire!) le 15/01/2015

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