Points de vue: Toxicologues et IPRP des Services de santé au Travail
En moyenne, dans un service interentreprises de santé au travail, un médecin du travail suit 300 à 500 entreprises… Il doit aborder des questions extrêmement diverses. Pour l’épauler, plusieurs services de santé au travail ont embauché des toxicologues. Ce sont des spécialistes en toxicologie, science qui traite des substances toxiques, de leurs effets sur l’organisme et de leur identification. La plupart des services de santé au travail ont embauché des techniciens ou des ingénieurs de la filière HSE ou HQSE (Hygiène Sécurité Qualité Environnement). Le législateur a créé la dénomination générique IPRP (Intervenant en Prévention des Risques Professionnels). Bref, une TPE ou une PME peut bénéficier de compétences techniques ou scientifiques de haut niveau, à l’instar d’une grande entreprise. Et cela, grâce à son service interentreprises de santé au travail.
Axelle TREIBER, Samuel CHOCHOY, Anne-Sophie BONNET, Emmanuelle DUPUIS, Dr Virginie DIEU. Service Toxicologie. PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord.
« Il n’y a pas que les Valeurs Limites d’Exposition Professionnelle »
Aujourd’hui PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord dispose d’un service de toxicologie composé de deux toxicologues industriels, Samuel Chochoy et Anne Sophie Bonnet, d’un docteur en Pharmacie, Emmanuelle Dupuis, d’un ingénieur chimiste, Axelle Treiber et du docteur Virginie Dieu, médecin du travail.
« Nos compétences sont toutes complémentaires. Nous intervenons en collaboration avec l’équipe santé travail. Nous analysons la situation exposante avant de faire des dosages atmosphériques. A ce titre, nous faisons, par exemple, des prélèvements de surface qui apportent souvent de précieuses informations sur la qualité de l’environnement de travail et l’atmosphère, car toutes les particules se redéposent… Nous raisonnons également en établissant des profils d’exposition sur un poste de travail, afin de repérer les phases les plus exposantes. Cela est particulièrement pertinent pour l’exposition aux gaz et aux solvants qui sont très volatils… Enfin, le recours aux indicateurs biologiques d’exposition, permet de prendre en compte l’ensemble des voies d’absorption de substance dans l’organisme. Le travail en équipe et la connaissance des tâches effectuées sont indispensables ».
Marie-Claire DELPIERRE, Alicia PEUVERGNE, Jamila BOUDJEMA. Toxicologues industrielles. Santé au Travail d’Arras-Béthune-Hénin-Lens – AST 62-59.
« La finalité est d’arriver à un niveau de risque acceptable… »
Diplômées du master en toxicologie industrielle et environnementale de l’université de Lille II (faculté de Pharmacie), Marie-Claire Delpierre, Alicia Peuvergne et Jamila Boudjema constituent un « pôle risques chimiques » au sein de l’AST 62-59. Avant de rejoindre l’AST 62-59, elles ont eu des parcours professionnels différents : bureau de contrôle, industrie, ou laboratoire de chimie analytique…
« Les prélèvements atmosphériques sont utiles pour démontrer la nécessité de mettre en place une protection collective efficace, privilégier un produit moins exposant par rapport à un autre ou avoir des éléments de réponse quant au niveau d’exposition des salariés dans certaines circonstances.Les toxicologues industrielles de l’AST 62-59 interviennent principalement à la demande du Médecin du Travail. En collaboration avec l’entreprise, les substances prélevées sont déterminées après étude des postes de travail et des process, pour aboutir à des mesures de prévention adaptées à l’activité. Nous suivons les protocoles établis par l’Institut National de Recherche et de Sécurité. Si les résultats ne sont pas jugés acceptables, les concentrations obtenues étant supérieures à 10% de la VLEP, nous sensibilisons l’entreprise à la nécessité de mener des actions de prévention pour tendre vers un niveau d’exposition le plus bas possible…».
Lucie PEREIRA, Toxicologue industriel, Intervenant en Prévention des Risques Professionnels. Responsable du pôle Risques Chimiques. Santé au Travail de Valenciennes – ASTAV.
« Savoir évaluer le niveau de risque en dehors de la notion de valeur limite d’exposition professionnelle »
Diplômée d’un DESS en bio-toxicologie industrielle et environnementale, Lucie Pereira a été toxicologue au Technocentre Renault de Guyancourt. Puis, elle a rejoint les équipes de l’ASTAV (Santé au Travail de Valenciennes) en 2006, au sein desquelles elle anime le Pôle Risques Chimiques .
« Sur le plan règlementaire, il y a obligation depasser par un organisme accrédité pour le mesurage atmosphérique des Agents Chimiques Dangereux, y compris les Cancérogènes-Mutagènes-Reprotoxiques, lorsque ces agents possèdent une VLEP règlementaire, exception faite pour les agents chimiques dangereux (non-CMR) si l’évaluation des risques conclue à un risque faible. Le niveau de risque dépend de l’exposition (par exemple la concentration atmosphérique) et de la nature de la substance chimique (danger). Votre service de santé au travail peut caractériser ce niveau de risque. Vous saurez alors si vous devez faire appel à un organisme accrédité, ou non. Par ailleurs, le risque pour la santé peut exister malgré le respect de la Valeur Limite d’Exposition Professionnelle. En effet, certaines substances sont cancérogènes sans qu’une relation dose-effet soit définissable. C’est-à-dire qu’à très faible doses, elles peuvent déjà être néfastes. Autre exemple : les allergènes. Leur simple présence, quelle que soit la concentration peut entraîner des effets néfastes. »
Mathieu MARTIN Toxicologue industriel. Pôle Toxicologie. Association Santé et Médecine du Travail du département de la Somme – ASMIS.
«Cela correspond à un véritable besoin des entreprises»
Ingénieur en toxicologie analytique, spécialisé en toxicologie clinique, Mathieu Martin a intégré l’ASMIS en 2012, après avoir été responsable de laboratoire de toxicologie industrielle et médico-légale. Il a un rôle de conseil scientifique, technique et réglementaire auprès des entreprises et de l’équipe pluridisciplinaire.
«Notre pôle toxicologie comprend une conseillère en prévention et une assistante assurant notamment la saisie des Fiches de Données de Sécurité dans EVARIST (logiciel d’évaluation des risques chimiques développé par l’ASMIS). A la demande des médecins du travail, nous réalisons des mesurages atmosphériques de polluants, après analyse de la situation de travail et des conditions d’exposition des salariés. Les valeurs mesurées s’interprètent en relation avec le contexte de prélèvement. Nous pouvons également assurer la surveillance de l’expositionà un produit par la mesure d’indicateurs biologiques correspondants (bio-métrologie). Enfin, des snesibilisations sur l’identification et la prévention des risques chimiques sont menées auprès de nos adhérents. En deux ans, la demande des entreprises est en croissance exponentielle, car cela correspond à un véritable besoin».
Melinda L’HÉVÉDER, Intervenante en Prévention des Risques Professionnels. Santé au Travail de Cambrai- AISMT.
«Il faut avoir les pieds sur terre»
Hygiéniste Industrielle dans une usine chimique, Mélinda L’hévéder travaillait dans l’industrie chimique pure et dure. Puis, elle a rejoint l’équipe de l’AISMT (Association Interprofessionnelle des Services Médicaux du Travail). Elle met ses compétences à disposition des entreprises adhérentes de l’AISMT. Ce sont, en majorité, des entreprises de petite taille, de tout secteur d’activité.
« Il faut avoir les pieds sur terre et ne pas recourir à des laboratoires spécialisés coûteux lorsque l’évaluation des risques chimiques conclut une exposition certainement notable ! Les moyens de prévention collectifs sont prioritaires dés l’évaluation. Le service de santé au travail permet aux entreprises de bénéficier de conseils spécialisés et expérimentés. Avec du matériel portatif (type photoionisation), nous pouvons déjà faire des mesures, avec lecture en direct. Par exemple, nous pouvons évaluer en direct le taux atmosphérique d’un grand nombre de Composés Organiques Volatiles (COV) communément appelés « solvants » dans les entreprises. Ce type de mesures rapides permet d’avoir immédiatement un niveau d’exposition et de mieux gérer les priorités d’actions à mener. Des taux élevés plaident pour des investissements de prévention. Je me souviens d’une situation où le taux de perchloréthylène atmosphérique devait être théoriquement faible… et une vanne mal remontée fuyait ! Les mesures ont permis de trouver la fuite, évitant des dépenses inutiles en laboratoire ».
Stéphanie BUISINE, Intervenante en Prévention des Risques Professionnels. Responsable du Pôle Prévention. Santé au Travail de l’Aisne – MTA.
« Les valeurs limites ont leurs propres limites »
Ingénieur chimiste de formation, Stéphanie Buisine est également diplômée en Hygiène Industrielle. Depuis 15 ans, elle a intégré MTA, où elle a développé l’évaluation et la prévention du risque chimique au sein des entreprises, tout en suivant des cours de toxicologie à l’Université de Louvain.
«Il faut être prudent lorsque l’on compare une exposition à une valeur limite. Être au-dessus d’une valeur limite prouve la nécessité d’agir pour réduire l’exposition. Être en-dessous peut être faussement rassurant. En effet, le niveau mesuré peut être plus faible que le niveau d’exposition réelle, si les conditions de prélèvements ne sont pas représentatives. Avoir un résultat inférieur à la valeur limite ne signifie pas qu’il n’y a aucun risque. En effet, les Valeurs Limites évoluent avec les progrès des connaissances. La métrologie peut aussi parfois inhiber une dynamique de prévention là où une simple observation montre la nécessité d’améliorer la situation. Il ne faut réaliser des prélèvements qu’après une parfaite observation des postes. L’implication des salariés dans la démarche est primordiale ».
Thomas BLANQUIN, Intervenant en Prévention des Risques Professionnels. Santé au Travail de la Vallée de la Lys – SIMUP.
« Tout démarre par l’identification des risques »
Après un master en Qualité Sécurité Environnement (QSE), Thomas Blanquin a occupé des fonctions de technicien HSE en entreprise. Puis il rejoint l’équipe pluridisciplinaire de la santé au travail de la Vallée de la lys au sein de laquelle il développe l’aide à l’évaluation des risques.
« Tout s’inscrit dans une démarche globale de prévention du risque chimique. Cette démarche comprend trois étapes incontournables : identification des dangers, évaluation des risques, puis réduction de ces risques avec définition d’actions de prévention. L’identification des risques est le point de départ capital. Il faut commencer par un inventaire des produits utilisés et des émissions générées, recenser les Fiches de Données de Sécurité, estimer les quantités et les fréquences d’utilisation, observer les conditions d’exposition en les rattachant à toutes les tâches effectuées. A ce stade, les techniques de scoring peuvent être intéressantes. C’est alors que l’on peut raisonner sur des stratégies de prélèvement adaptées. Les services de santé au travail sont là pour conseiller en toute indépendance l’entreprise. Sur le principe du Document Unique d’Évaluation des Risques professionnels, une amélioration continue peut être progressivement engagée».
Valérie MARCQ, Ingénieur HSE. Intervenante en Prévention des Risques Professionnels. Santé au Travail Sambre Avesnois – STSA.
«Les valeurs limites sont une des données d’entrée dans l’évaluation du risque chimique»
Ingénieur en chimie organique de formation et ayant soutenu une thèse de doctorat, Valérie Marcq a ensuite suivi un cursus complémentaire en Qualité Hygiène Sécurité et Environnement (QHSE). Après 5 ans en industrie et au service de l’industrie, elle intègre l’équipe de STSA en 2010. En 2015, elle entreprendra une formation complémentaire de toxicologie professionnelle et industrielle.
« Les Valeurs Limites d’Exposition Professionnelle sont un outil, une donnée d’entrée. Nous les utilisons toujours dans le cadre d’une évaluation du risque chimique. Avec les conditions réelles d’utilisation (quantité, fréquence, mesures de prévention), le coeur de cette évaluation est de connaître la composition du produit, grâce à l’analyse de la Fiche de Données de Sécurité qui doit être délivrée par le fournisseur. Et être à jour ! Nous pouvons alors identifier la classification actuelle de chaque composant et avoir un oeil avisé sur sa classification future. Les connaissances en chimie et en toxicologie évoluent sans cesse ! La mesure éventuelle du taux atmosphérique de la substance intervient dans un second temps, en prenant en compte les conditions d’utilisation du produit. Les Valeurs Limites d’Exposition Professionnelle, quand elles existent, sont alors un repère. Nécessaire mais pas suffisant dans l’évaluation du risque et du danger ».
Olivier DECROIX, Intervenant en Prévention des Risques Professionnels. Santé au Travail de Dunkerque – CEDEST.
«L’évaluation doit représenter la réalité d’une situation»
Hygiéniste industriel, Olivier Decroix dispose d’un mastère spécialisé en Sécurité et Risques Industriels. Après avoir travaillé sur plusieurs sites industriels, notamment en centrale thermique et dans l’industrie pharmaceutique, il a intégré l’équipe du CEDEST (CEntre pour le DÉveloppement Santé au Travail), au sein de laquelle il est référent pour le risque chimique.
«Les Valeurs Limites d’Exposition Professionnelle sont indispensables pour l’hygiéniste industriel. Par nature, l’évaluation fait partie de notre métier. Et la mesure de l’exposition se doit d’être représentative. Elle ne doit pas sous-estimer, ni sur-estimer le niveau réel de l’exposition au poste de travail, pour les tâches effectuées. Par exemple, prendre également en compte les contacts cutanés car les VLEP ne reflètent que l’exposition respiratoire… En matière de Valeur Limite d’Exposition Professionnelle, il existe un cadre règlementaire très précis, souvent méconnu des petites et moyennes entreprises. Les services de santé au travail sont là pour les aider à se situer. Par exemple, en partant de l’identification des produits et des procédés, nous pouvons repérer les Agents Chimiques Dangereux et les Produits Cancérogènes-Mutagènes-Reprotoxiques, qui font l’objet de dispositions spécifiques au sein du Code du travail. Notre rôle n’est pas de contrôler, mais de conseiller ».
1 – Intervenant en Prévention des Risques Professionnels.
(Publié dans le N°29 : Risque chimique: l'air de rien, tout se respire!) le 14/01/2015
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