Emily BOUKARI: nous manipulons des milliers de produits différents

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Après ses études de médecine, Emily BOUKARI décide de se spécialiser en Médecine du Travail. Mais elle ne s’arrête pas là. Le risque chimique l’intéresse… Elle embraye donc sur un Diplôme de Toxicologie Industrielle, à la Faculté de Médecine de Lille (Université de Lille II – CHRU de Lille). Les risques liés à l’emploi des Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques en milieu agricole ont fait l’objet de son mémoire. Puis elle suit des formations complémentaires sur les stratégies et techniques de prélèvement atmosphérique auprès du CHU de Grenoble. Depuis 2009, elle est médecin du travail à l’ASTIL 62 (Santé au travail de Calais-Boulogne-Le Touquet).

E&S: Vous avez créé un « Groupe Action Risque Chimique » au sein de l’ASTIL 62 ? Pourquoi ?

EB Au cours de ma formation, j’ai constaté qu’il y avait une grande méconnaissance du risque chimique en entreprise. Il y a souvent une appréhension vis-à-vis de ce risque, car il apparaît difficile à cerner. En arrivant à l’ASTIL 62, j’ai proposé à la direction et à mes collègues de créer un groupe « référent », qui puisse répondre aux questionnements des uns et des autres. D’où la naissance du Groupe Action Risque Chimique, dénommé GARC ! Ce groupe est composé de Nathalie Defachelles, Virginie Lapôtre et moi-même. Nathalie et Virginie sont des techniciennes hygiène sécurité qui ont suivi des formations en interne et en externe, notamment sur les techniques de prélèvements atmosphériques. Le GARC aide les collègues de l’ASTIL 62 pour l’évaluation du risque, l’analyse des Fiches de Données de Sécurité, les prélèvements atmosphériques s’ils s’avèrent nécessaires et la sensibilisation des salariés et des employeurs au risque chimique. Le GARC complète, à sa demande, l’intervention du médecin du travail qui suit une entreprise. Il n’intervient que si ce médecin du travail en fait la demande. Force est de constater que le nombre de demande est en croissance exponentielle. Il y a de réels besoins de conseils et d’expertises en entreprise sur le risque chimique. Chaque demande est étudiée en liaison avec le médecin du travail concerné. Le GARC peut aussi mener des études sur plusieurs entreprises avec les médecins du travail. On peut citer l’étude menée au sein des garages dans le cadre du programme GPS, Garage Prévention Santé, initiée au niveau régional par la DIRECCTE. Actuellement, nous lançons une étude sur le soudage avec 10 à 15 entreprises et 80 soudeurs… Le GARC répond donc à des questions posées par une entreprise et son médecin du travail. Il peut mener une évaluation du risque sur un métier ou une activité, grâce au concours de plusieurs entreprises et plusieurs médecins du travail.

E&S: L’exposition par voie respiratoire est-elle fréquente ?

EB Oui, Sans aucun doute. Mais la respiration ne doit pas occulter d’autres voies d’absorption tels que le contact cutané, ou la voie digestive. Notamment, suite à des lavages de mains insuffisants ou l’absence du port de gants adaptés. D’où l’importance de faire des dosages urinaires, par exemple, qui mesurent le niveau réellement absorbé et éliminé par l’organisme. C’est le champ de la bio-métrologie, en plein développement. Il permet de raisonner sur le couple exposition-absorption, et non pas seulement sur l’exposition seule. Les indicateurs biologiques, dosés sur le sang ou l’urine par exemple, voire les cheveux, permettent de connaître le degré d’imprégnation de l’organisme, quelle que soit la voie d’absorption. Cela relève de protocoles très précis, éprouvés scientifiquement.

E&S: Pourquoi évaluer la qualité de l’air respiré ?

EB La finalité est simple : la santé et le bien-être des salariés. Les prélèvements d’air et les dosages atmosphériques permettent de se situer et de s’orienter, de conseiller et de vérifier. Tant pour la mise en oeuvre ou l’efficacité d’une prévention collective, que pour le choix d’un Équipement de Protection Individuelle. Le service de santé au travail a une mission de conseil auprès des employeurs et des salariés. Attention : la règlementation impose dans des cas très précis l’intervention d’organismes accrédités, qui sont à la charge de l’entreprise. Le service de santé au travail n’est pas organisme accrédité. Mais il a toute compétence pour éclairer l’entreprise sur ses obligations réelles, avant qu’elle n’engage des dépenses souvent élevées. Les TPE ou les PME sont souvent démunies devant la complexité et la technicité des textes… Nous sommes là pour les aider.

«La respiration ne doit pas occulter d’autres voies d’absorption tels que le contact cutané, ou la voie digestive »

E&S: Comment évaluer la qualité de l’air respiré ?

EB En pratique, le salarié, qui donne son accord, peut être équipé d’une pompe, portée à la ceinture, et reliée à un support disposé au niveau des voies respiratoires. Le poids, d’environ 400 grammes, est celui d’un baladeur. Le salarié peut être équipé durant une partie de son temps de travail ou sur la durée totale du poste. Ceci permet de faire des mesures, par exemple, sur quinze minutes ou sur huit heures, en correspondance des Valeurs Limites d’Exposition Professionnelle, qui sont établies pour des périodes de quinze minutes ou huit heures. On parle ainsi de VLEP 8 heures ou VLCT 15 minutes. Nous appliquons des protocoles très précis. En pratique, nous suivons les normes AFNOR définissant les débits et volumes d’air aspiré, le type de filtre à utiliser. A chaque filtre, correspond une substance à doser. Puis les filtres sont expédiés pour dosages dans des laboratoires spécialisés. Dans quelques cas précis, par exemple le monoxyde de carbone ou les Composés Organiques Volatils, nous disposons d’appareils portatifs qui donnent le résultat instantané en lecture directe. Des pompes peuvent être installées avec des supports adaptés en fonction de la substance à doser à différents endroits du local. On parle alors de dosages d’ambiance. Des prélèvements effectués sur les surfaces peuvent également compléter le mesurage. Tout ceci relève de stratégies précises, validées sur le plan scientifique. Une observation préalable des situations de travail est nécessaire pour définir la meilleure stratégie de prélèvement. Durant le prélèvement d’air, nous sommes sur place pour pouvoir interpréter, par exemple, un pic d’exposition retrouvé dans les dosages. Il faut éviter aussi les sur-évaluations et les sous-évaluations, liées aux conditions de prélèvement d’air. Décider de réaliser des prélèvements d’air intervient après une évaluation globale du risque chimique, au sein de l’entreprise. L’analyse des fiches données de sécurité, la visite des lieux et l’analyse de l’activité sont d’indispensables préalables. Le médecin du travail qui suit l’entreprise reste l’interlocuteur de l’entreprise. En cas de mesurage du taux atmosphérique d’une substance, la restitution et l’interprétation des résultats sont donc établies avec le médecin du travail qui suit l’entreprise concernée.

E&S: Existe-t-il des valeurs limites à ne pas dépasser ?

EB Situons l’enjeu : nous manipulons des milliers de produits chimiques différents, et il existe environ une centaine de valeurs limites ! Nous trouvons des valeurs limites réglementaires soit indicatives soit contraignantes et des valeurs limites non réglementaires indicatives. La loi impose de ne pas les dépasser. Elles sont dénommées Valeurs Limites d’Exposition Professionnelle. Ce sont les VLEP. On parle bien de la concentration maximale de substance qui peut être contenue dans l’air respiré par le salarié. Fixées par décret, les VLEP contraignantes constituent une obligation pour l’employeur : amiante, poussières de bois, agents Cancérogène-Mutagènes-Reprotoxiques, certains agents chimiques dangereux…. Le taux atmosphérique de ces substances doit être vérifié annuellement par un organisme accrédité. Les autres VLEP réglementaires sont fixées par arrêté et sont dites indicatives. Elles constituent un objectif de prévention pour l’employeur. Depuis le 1er janvier 2014 le contrôle doit également être effectué annuellement par un organisme accrédité. Les valeurs limites indicatives non réglementaires sont fixées dans les circulaires, elles seront progressivement remplacées par des valeurs limites réglementaires indicatives ou contraignantes. Rappelons que les VLEP peuvent être déterminées pour une période de 8 heures (VLEP 8H) ou une période de 15 minutes (VLCT). En l’absence de valeur limite figurant dans les circulaires, arrêtés ou décrets du Ministère du Travail, on se réfère aux valeurs limites recommandées par la Caisse Nationale d’Assurance Maladie ou d’autres organismes ou les valeurs fixées dans d’autres pays par exemple aux USA ou au Canada…..

E&S: Pourquoi faire appel à son service de santé au travail pour évaluer l’exposition au risque ?

EB Chaque entreprise privée, en France, dispose d’un service de santé au travail, dont la mission est de conseiller l’employeur et les salariés sur la prévention des risques et la préservation de la santé. Faire appel à son service de santé au travail permet de se situer par rapport à la règlementation et de bénéficier de conseils adaptés à chaque situation. Le risque chimique mérite l’attention de spécialistes. La TPE ou la PME les trouvera au sein de son service de santé au travail. Dans notre service, ce conseil expert est inclus dans la cotisation !

E&S: Quel conseil donneriez vous en priorité à une TPE ou une PME ?

EB Ne pas hésiter à solliciter son médecin du travail. Celui-ci aidera l’entreprise dans sa démarche d’évaluation du risque chimique. Il pourra renseigner l’entreprise si des besoins d’analyses sont nécessaires ou préférables. Et sensibiliser les salariés et les employeurs. Les équipes pluridisciplinaires des services interentreprises de santé au travail sont là pour cela, au service des TPE et PME.

Les TPE ou PME sont souvent démunies devant la complexité et la technicité des textes règlementaires. Nous sommes là pour les aider »

1. Le comité de pilotage est constitué de représentants du personnel, de la déléguée au développement durable, du secrétaire général, du directeur de la DSIMG et de la DRRH.

(Publié dans le N°29 : Risque chimique: l'air de rien, tout se respire!) le 14/01/2015

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