Coeur au travail : Qu’en pensent les cardiologues ?

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Pour ce dossier traitant du « cœur au travail », Entreprise & Santé a rencontré deux cardiologues, aux profils différents et complémentaires. Jean-Luc Lemoine est médecin du travail, depuis plus de 30 ans, à l’ASMIS, Santé au Travail de la Somme ; il est aussi diplômé de cardiologie. Thierry Jacquemart est cardiologue libéral ; il travaille également à la clinique de réhabilitation cardiaque « La Mitterie », près de Lille ; enfin, il assure des consultations de cardiologie à Pôle Santé Travail Métropole Nord (Santé au Travail de Lille Roubaix Tourcoing Douai Saint Omer). Notre sujet est vaste : risques professionnels et conséquences cardiaques, liaisons entre les risques cardiovasculaires individuels et le travail, reprise du travail après un infarctus, mesure de la fréquence cardiaque comme indicateur de pénibilité, urgence cardiologique en entreprise…

E&S: Si on vous dit « Coeur au travail »… A quoi pensez-vous ?

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Jean-Luc Lemoine : Dans le contexte actuel, je pense au stress… C’est-à-dire aux relations entre travail, stress et santé. Une étude, récemment publiée dans le LANCET , met en évidence que le risque cardiovasculaire est augmenté de plus de 20 % quand il existe un stress professionnel. La prévention du « Risque Psycho-Social » est donc bien une priorité !

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Thierry Jacquemart : Je pense à la réadaptation au travail des personnes ayant fait un accident cardiaque. Elles évaluent souvent qu’elles ne peuvent plus travailler comme avant. A près de 100 % des cas, elles peuvent travailler comme avant. Il faut donc leur donner les moyens de passer ces craintes et de travailler.

E&S: Quelles sont les relations entre risques cardiovasculaires et travail ?

Thierry Jacquemart : ll existe des populations très ciblées pour lesquelles le dépistage et l’évaluation du risque cardio-vasculaire individuel sont essentiels. Du fait de leur mode de vie, leurs horaires et leur isolement professionnel, ces populations ont la médecine du travail pour unique suivi médical. Les chauffeurs de poids-lourds, les travail leurs à domicile en sont deux exemples. La consultation de médecine du travail permet alors de faire le point des différents facteurs de risques. Les premiers facteurs de risques sont le tabac et le surpoids. Ensuite tout est lié : l’hypertension et le cholestérol, par exemple.

Jean-Luc Lemoine : Cette question… soulève beaucoup de questions ! Sur le plan professionnel, on peut faire abstraction, aujourd’hui, du risque d’intoxication aiguë, qui concerne un nombre très limité de salariés. En revanche, le stress est un facteur de risque qui se généralise… Les situations de stress chronique sont de plus en plus fréquentes. Il est générateur d’infarctus et de maladies coronariennes. Une récente étude européenne démontre que quels que soient le métier, l’âge, le sexe, le mode de vie, la nationalité, le sur-risque d’infarctus lié au stress est identique. Le stress touche ainsi toutes les tranches salariales. D’autres facteurs sont à prendre en compte. Par exemple, les horaires atypiques ont des effets directs et pervers sur l’homme, à travers des dérèglements physiopathologiques. Ils multiplient les comportements nocifs pour leur santé : consommation excessive de sucres, gras, alcool, tabac associée à la sédentarité…L’entreprise est aussi un lieu favorable à l’éducation pour la santé. C’est ce que nous avons expérimenté avec le programme « Entreprises de Picardie en Santé ».

E&S: Que dire de la reprise du travail après un accident cardiaque, comme, par exemple, un infarctus du myocarde ?

Jean-Luc Lemoine : L’approche est particulière : le patient a beaucoup d’angoisse. Il pense que cela ne sera plus jamais comme avant… Et c’est faux. Il faut donc l’informer. La réadaptation cardiovasculaire et l’éducation thérapeutique sont ainsi essentielles pour concourir à la reprise du travail. En centre de réhabilitation cardiovasculaire, le patient comprend qu’il peut faire des efforts et mener une vie sociale et professionnelle normale. Cela favorise une reprise de travail plus précoce. En effet, plus la durée d’arrêt de travail est longue, plus la reprise est difficile ! Ceci s’applique aux pathologies coronariennes, valvulaires et à l’insuffisance cardiaque. Dans tous les cas et en particulier lors de la visite de pré-reprise, il faut proposer une aide psychologique et un accompagnement à la réinsertion professionnelle. L’enregistrement en continu de la fréquence cardiaque, réalisé au cours du travail, est complémentaire à l’épreuve d’effort réalisée en centre spécialisé.

Thierry Jacquemart : En tant que cardiologue exerçant en ville d’une part, et en centre de réhabilitation cardiaque d’autre part, je confirme : plus l’arrêt de travail est long, plus la reprise est difficile. Et ceci est mal vécu autant par le salarié, que par son entreprise. Aujourd’hui, il y a un hiatus entre la fin de la réhabilitation et la reprise du travail. Il faut le combler. En priorité, il faut aider le patient, qui peut toujours faire plus de choses qu’il ne le pense ! Il faut que le patient puisse bénéficier d’un mi-temps thérapeutique en entreprise, avec un véritable projet de réhabilitation cardiaque sur l’autre mi-temps. On gagnerait en efficacité dans l’intérêt du patient. Aujourd’hui, il bénéficie d’un mi-temps thérapeutique, sans projet sur l’autre mi-temps…

E&S : Des enregistrements de la fréquence cardiaque sont possibles en situation de travail… Comment cela se passe-t-il ?

Jean-Luc Lemoine : Avec l’accord de l’entreprise, nous équipons le salarié volontaire d’un cardiofréquencemètre. Le salarié fait son travail comme d’habitude et nous faisons, en parallèle, un relevé précis des tâches effectuées. A l’ASMIS, il nous arrive même de filmer le salarié. Au laboratoire, les enregistrements sont traités par un logiciel d’exploitation. Puis, nous interprétons les résultats avec des grilles d’analyses validées par la communauté scientifique. Trois grilles sont couramment utilisées en France : Chamoux, Frimat, Meunier-Smolik et Knoche et postures, le rythme et la fréquence des gestes répétitifs, les horaires de travail, les déplacements, les incidents, le bruit, la température, l’éclairement, etc.

E&S: Ce n’est pas trop compliqué ?

Jean-Luc Lemoine : Non, pas du tout. A l’ASMIS, c’est une investigation de routine qui est réalisée sur demande du médecin du travail. Deux techniciennes ont été formées : Sandrine Vanheule et Rizlène Regui. C’est un travail d’équipe entre le médecin du travail, les ergonomes et moi-même. Les entreprises apprécient car des chiffres objectifs sont apportés face à un sujet sensible et facilitent les dialogues internes.

E&S Quelles en sont les indications ?h3.

Jean-Luc Lemoine : La cardiofréquencemétrie permet d’une part une évaluation de type ergonomique : analyser la pénibilité d’un poste donné, de plusieurs postes, d’un métier, d’une branche professionnelle… L’analyse permet aussi d’identifier la pénibilité spécifique d’une séquence de travail, voire d’un geste donné… Exemples : peindre un plafond, sur une échelle, avec le bras au dessus des épaules ; porter une charge donnée avec telle posture et tel environnement… Dans ce type d’analyse, nous pouvons évaluer les conséquences cardiaques de facteurs, comme la chaleur. Enfin, nous pouvons comparer un processus de travail, avant et après modifications afin d’en objectiver l’impact. Par ailleurs, la cardiofréquencemétrie permet une évaluation médicale. Par exemple, suite à une opération valvulaire, une insuffisance cardiaque ou un infarctus, le salarié a une angoisse, légitime, lors de la reprise du travail. La cardiofréquencemétrie objective ses possibilités. C’est un argument favorable, près de 10 fois sur 10.

E&S : Dr Thierry Jacquemart, vous êtes cardiologue, quels sont les salariés qui viennent vous consulter et pourquoi ?

Thierry Jacquemart : Il faut d’abord resituer le cadre de mon intervention au sein de Pôle Santé Travail Métropole Nord. Dans ce service de santé au travail, ce sont les médecins du travail qui m’adressent en consultation des salariés. En effet, le médecin du travail est prescripteur commentateur auprès du salarié pour lequel il est son conseiller sur son devenir professionnel. Nous pouvons ainsi réaliser, bien sûr, des électrocardiogrammes, mais, aussi et surtout des enregistrements en continu du rythme cardiaque sur 24 heures, en liaison avec l’équipe soignante ou de réadaptation à l’effort. Nous pouvons aussi réaliser des enregistrements continus de tension artérielle en ambulatoire. Enfin, nous disposons d’un échographe portable qui permet d’explorer la fonction ventriculaire au niveau du coeur ou l’état des artères au niveau périphérique.

E&S C’est donc une approche médicale classique ?

Thierry Jacquemart : Oui sur la forme. Non sur le fond. Je m’explique. Sur prescription du médecin du travail, nous réalisons une évaluation individuelle du risque cardiovasculaire individuel, avec un bilan sanguin et des examens spécialisés. Le salarié dispose alors d’un bilan précis, qui est analysé avec son médecin du travail et qu’il peut transmettre à son médecin généraliste. Nous diagnostiquons des pathologies. Par exemple : HTA, extrasystoles, valvulopathie, angine de poitrine, trouble du rythme. Nous orientons le salarié pour une prise en charge thérapeutique, médicale voire chirurgicale. Nous intervenons aussi dans des cadres légaux, comme les « DATR » (dispositions spécifiques aux travaux sous rayonnements ionisants), ou le port de masque dans le cadre du désamiantage, etc. Mon rôle d’expert est à la croisée du dépistage et de la prévention.

E&S : Que conseiller à propos de l’urgence cardiologique en entreprise ?

Jean-Luc Lemoine : J’ai deux conseils : mettre à disposition un Défibrillateur Automatisé Externe (DAE) et développer la formation au sein du personnel de Sauveteur Secouriste du Travail . La mort subite d’origine cardiaque représente en France 40 à 50 000 morts. Le taux de survie sans défibrillation immédiate est de 2 à 5 % maximum. A Montbard, en Côte d’Or, il apparaît que la mise en place de défibrillateur a fait passer le taux de survie à 20 % ! Rejoignons les pays anglosaxons en augmentant notre taux de survie à 40-50 % en équipant les entreprises et les endroits publics car le « défibrillateur est à l’arrêt cardiaque ce qu’est l’extincteur pour le feu ».

Thierry Jacquemart : Effectivement. Les gestes d’urgence simples doivent être connus de chacun : APPELER, MASSER, DEFIBRILLER. Apprendre à tout le personnel est une démarche simple et civique. En une heure, on peut lui apprendre le bon usage du défibrillateur. Il se sent mieux reconnu, dans sa vie professionnelle et dans sa vie personnelle.

1 ASMIS : Association pour la Santé et la Médecine du travail Interentreprises de la Somme
2 LANCET : publication scientifique faisant autorité en médecine.

(Publié dans le N°23 : Coeur au travail : ça palpite pour moi !) le 22/07/2013

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