Dr Bernard Fontaine « Pour moi, c’est LA priorité des priorités »

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Bernard Fontaine, médecin du travail PÔLE SANTÉ TRAVAIL Métropole Nord

Au fil des années Bernard Fontaine a développé une compétence en toxicologie industrielle, reconnue sur le plan national. A ses compétences de médecin, il associe de robustes connaissances en bio-toxicologie et une pratique éprouvée du monde du travail. Consulté par de nombreux confrères sur des problématiques rencontrées en entreprise, Bernard Fontaine allie toujours dans ses réponses une approche scientifique et une approche juridique.

On parle de CMR pour substances Cancérogène-Mutagène-Reprotoxique. Peut-on définir une substance cancérogène ?

fontaine

Oui. Sans problème. C’est une substance qui provoque un cancer et/ou en augmente la fréquence. Les goudrons de houille ou les Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques (HAP) créent des cancers au niveau des cellules. Certaines hormones en augmentent la fréquence, sans être mutagènes. Il faut donc bien comprendre qu’un cancer résulte d’une ou plusieurs mutations et/ou modifications des mécanismes chimiques cellulaires amenant à produire des protéines normales en quantité anormale.

Que dire d’une substance mutagène ?

C’est une substance qui modifie le patrimoine génétique d’un organisme.

Et d’une substance reprotoxique ?

C’est une substance qui modifie soit les gamètes mâles ou femelles, soit les mécanismes de la reproduction et/ou du désir sexuel. Nous pouvons rappeler, au passage, que selon la directive européenne de 1992, relative à la protection des femmes enceintes au travail, celles-ci ne doivent en aucun cas être exposées à un produit à pénétration percutanée formelle. Par ailleurs, le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT) doit analyser les risques professionnels auxquels sont exposées les femmes enceintes (article L 4612-2 du code du travail).

Quels sont les secteurs d’activité les plus concernés ?

Dans l’industrie, la question des CMR est loin d’être négligeable. A niveau des cancers, il est décrit, scientifiquement, que 5 à 10% de l’ensemble des cancers a une origine professionnelle. Ce taux peut monter à 30% voire plus pour des sous-groupes de cancers… Dans une approche « métiers », les intérimaires ont une exposition hasardeuse. De nombreux travaux sont sous-traités et confiés aux intérimaires, qui cumulent souvent des interventions en mode dégradé ou en entretien. Ces interventions entraînent des expositions plus fortes. Il existe des entreprises à haut risque. Enfin, les cancers, vu leur latence longue, apparaissent quand la personne a quitté l’entreprise. Pour moi, c’est LA priorité des priorités !

Que dire de la législation ?

La législation relative à la prévention concernant les CMR a dix ans. En France, c’est en décembre 1992 que le terme « cancérogène » © a réellement fait son entrée dans le code du travail. Dix ans plus tard, la prévention s’est étendue aux mutagènes (M) et reprotoxiques ®. D’où l’abréviation CMR. Et un socle législatif commun, s’agissant des expositions professionnelles relevant du code du travail. A l’époque, le monde du travail est confronté à l’amiante et aux éthers de glycols. La législation relative aux maladies professionnelles indemnisables, relevant du code de la sécurité sociale, a reconnu les cancers professionnels beaucoup plus tôt. Par exemple, les leucémies causées par le benzène sont indemnisables depuis la création du Tableau 4 en janvier 1931…

Comment résumer l’obligation de substitution ?

Le principe de base est simple et efficace : il faut remplacer un produit ou une substance CMR par un produit ou une substance qui ne l’est pas. Pour mémoire, sur les emballages, une étiquette signale la présence d’une substance CMR. Mais les étiquettes changent car la législation européenne, dite CLP, relative à la classification, l’emballage et l’étiquetage, a changé. Le carré orange avec un liseré noir, comportant soit une tête de mort (CMR de catégories 1 et 2), soit une croix de Saint- André (CMR de catégorie 3), est remplacé par un losange blanc avec un liseré rouge comportant une silhouette explosée… Sous l’étiquette, il est écrit « Danger » pour les CMR de catégories actuelles 1a et 1b, qui correspondent aux anciennes catégories 1 et 2. Il y a alors obligation de substitution. Il est écrit « Attention » pour les CMR de catégorie actuelle 2, ce qui correspond à l’ancienne catégorie 3. Il n’y a pas d’obligation de substitution, mais il faut atteindre le niveau d’exposition le plus faible possible. Cette classification s’applique sur le plan règlementaire. Il faut donc bien la maîtriser. Il faut aussi s’intéresser aux classifications scientifiques. Pour exemple, la classification du Centre International de Recherche sur le Cancer de Lyon (IARC) est différente de la classification européenne CLP, qui, elle, s’impose en droit français. Les scientifiques observent la réalité ; leur classification éclaire également sur le niveau de risque. Avant que celui-ci ne soit pris en compte sur le plan règlementaire… Mieux vaut anticiper !

Ces classifications sont-elles robustes ?

Oui et non. Je m’explique. Par rapport à l’ancienne classification, par exemple, la nouvelle classification européenne CLP est parfois plus sévère, parfois moins sévère. Rappelons cette classification qui s’applique au regard du code du travail… Deux produits voisins peuvent être classés différemment si on compare la classification CLP à celle de l’IARC. Par contre le trichloréthylène et le perchloréthylène sont au même niveau pour l’IARC, mais l’Europe, en CLP classe le trichloréthylène en 1b et le perchloréthylène en 2. Les fibres de céramique réfractaire sont de niveau 2 pour l’IARC et 1 pour la CLP.

Et si on ne peut pas substituer le produit ou la substance ?

Il faut modifier ou adapter le processus de travail, pour éviter l’exposition au risque des salariés. Et être capable d’expliquer pourquoi il n’a pas été possible de changer le produit ou la substance CMR par un produit ou une substance qui ne l’est pas. Le cas le plus explicite est l’exposition aux poussières de bois : elles sont cancérogènes dans la classification de l’IARC ; elles font l’objet d’un tableau de maladie professionnelle indemnisable, au titre des adénocarcinomes nasosinusiens (tableau 47 du régime général). Il est alors impératif de les rechercher, de les doser et de respecter strictement les valeurs limites d’exposition, fixées par le code du travail. Autre exemple : le monoxyde de carbone, qui est un polluant ubiquitaire reprotoxique non substituable…

Existe-t-il une différence entre une entreprise utilisatrice et une entreprise productrice ou vendeuse de substances ou produits CMR ?

La législation s’impose à chacune d’entre elles. Les entreprises productrices ou vendeuses sont responsables de l’étiquetage, en application de la classification européenne CLP. Elles doivent fournir à l’Agence Européenne des Produits Chimiques (ECHA) toute information ou observation qui peut influer le classement d’un produit ou d’une substance dans la classification CLP, et donc son étiquetage. Notons que des substances échappent à cet étiquetage dans leur emballage final. Par exemple des médicaments peuvent être CMR pour la préparation, la fabrication et la distribution ; sur cette chaîne, ils sont soumis à l’étiquetage CLP. La boîte en pharmacie ne relève pas de la règlementation CLP… C’est le cas des cytostatiques, utilisés en chimiothérapie. Autre exemple : la warfarine, qui est un anticoagulant largement prescrit…

En entreprise, comment faire en premier lieu ?

Il faut faire le recensement exhaustif des produits et substances existants dans l’entreprise. Il faut faire un « tri à la serpette » des produits entrant dans l’entreprise. L’expérience me démontre que l’on peut en supprimer 50%. Cela, quelle que soit l’entreprise. Et même, par exemple, dans les laboratoires de recherche… Je répète inlassablement : faîtes le listing de tous les produits, ayez un seul canal d’achat, tracez chaque achat, préférez la substitution de processus à la substitution de produit quand cela est possible. En outre, quand on utilise un produit ou substance CMR, il faut interdire de fumer, même durant les pauses. C’est-à-dire durant tout le temps pendant lequel le lien de subordination créé par le contrat de travail s’impose sur le plan juridique.

Comment voyez-vous l’avenir ?

Plus on progresse, plus on a de nouvelles situations qui sont potentiellement à risque CMR. Par ailleurs, on commence à avoir des preuves des effets sur la descendance. Par exemple, les peintres en bâtiment sont soumis à un risque de cancer du poumon et de la vessie ; des questions se posent sur les leucémies d’enfants de femmes peintres en bâtiment. Enfin, il faut noter les progrès faits dans la composition de certains produits. Par exemple, les bitumes mis à disposition des entreprises contiennent aujourd’hui 1000 ppm (parties par million) d’Hydrocarbures Aromatiques Polycycliques, voire moins, alors qu’ils en contenaient 10 000, il y a 30 ans. Le White Spirit, vendu en droguerie, contient 20 à 30 ppm de benzène s’il est « désodorisé », alors que le produit standard peut en contenir 600 à 800 ppm, et cela, avec le même étiquetage.

S’il y avait un seul conseil à donner ?

Ne bricolez pas tout seul le risque CMR ! Votre médecin du travail et l’équipe de santé au travail de votre service de santé au travail sont là pour vous aider.

(Publié dans le N°17 : L'obligation de substitution) le 17/04/2012

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