CMR: Le tour de la question en 7 points
Produits cancérogènes mutagènes et reprotoxiques (CMR)
Face aux nombreuses substances et produits chimiques, le risque de cancer est très inquiétant. Les poussières de bois, les émanations de moteurs diésel, certains solvants, certains extracteurs en nettoyage à sec ou en parfumerie, le chrome hexavalent, le formol, les goudrons, le monoxyde de carbone sont des substances ou produits susceptibles de provoquer un effet CMR. Le contact est essentiellement respiratoire ou cutané. Ce risque existe dès leur réception et leur manipulation ; le risque peut aussi apparaître en cours de procédé. Pour exemple, la soudure sur acier inox est susceptible de générer des fumées contenant du chrome hexavalent. Les poussières de bois sont émises lors du sciage ou du ponçage…
Certaines substances présentent un risque mutagène et/ou un risque de toxicité sur la reproduction. En regroupant toutes ces substances, on parle alors de « substances à risque Cancérogène, Mutagène et Reprotoxique », dites « CMR ». Des dispositions spécifiques du code du travail s’appliquent à ces substances CMR. La suppression ou la substitution de la substance CMR est l’une d’entre elles. Il se peut que cette suppression ou substitution de substance ne soit pas possible techniquement. Il faut alors pouvoir le prouver. Dans cette situation, tout doit être fait pour réduire au maximum l’exposition des salariés. De très nombreux métiers sont concernés. Cette question des « CMR » est complexe. Nous présentons un résumé en sept points. Votre service de santé au travail est là pour vous aider. N’hésitez pas à consultez votre médecin du travail !
1 – Enjeux et principe de base
L’enjeu est d’empêcher à terme la survenue de cancers d’origine professionnelle. Le cancer peut survenir longtemps après l’exposition au risque : 10 ans, 20 ans voire 40 ans et plus… Les connaissances évoluent constamment. Un cancer peut résulter de plusieurs facteurs associés. Voici le principe de base : éviter l’exposition au risque. Le point de départ est d’évaluer ce risque. Or la compréhension de la composition d’un produit, l’analyse sur le plan toxicologique, voire ergo-toxicologique, d’une situation de travail peut vite devenir complexe. Il faut donc savoir recourir à des experts. Le médecin du travail est là pour vous orienter.
2 – Information et formation
Si le procédé de travail comporte un risque d’exposition à des substances ou produits CMR, l’information et la formation des salariés est obligatoire. Elle doit être adaptée et spécifique à ce risque. Des supports d’information écrits, disponibles et compréhensibles sont nécessaires : nature du risque, procédures de travail, obligation du port des équipements de protection individuelle, consignes en cas d’urgence. Votre médecin du travail doit y être associé.
3 – Responsabilités
L’employeur est responsable de l’exposition aux risques de ses salariés, comme il est responsable des autres facteurs de santé de son entreprise (ex. : santé économique, financière, sociale, commerciale…). En matière de sécurité, l’employeur a une obligation de résultat, qui a été définie par une jurisprudence dite « Amiante », en date du 28 février 2002 (Chambre sociale de la Cour de Cassation) : « en vertu du contrat de travail qui lie un salarié à son employeur, ce dernier est tenu, à l’égard de son salarié, d’une obligation de sécurité de résultat ». Cette obligation a été, maintes et maintes fois, confirmée par la jurisprudence ultérieure en application de l’article L 41 21-1 du code du travail qui stipule que l’employeur est tenu :« de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».
On peut noter que l’employeur se trouve dans une même obligation de résultat au niveau économique et commercial. Le résultat fait partie de la vie d’une entreprise !
4 – Agents chimiques dangereux et CMR
L’exposition au risque chimique existe dans trois circonstances principales : manipulation de produits achetés à des fournisseurs, substances émises sous forme de poussières, vapeurs, gaz ou aérosols lors du processus de travail, évacuation des déchets produits. Les risques pour la santé existent à ces différentes étapes de travail. Le code du travail parle d’Agent Chimique Dangereux ou « ACD » (article R 4412-3 et article R4411-6 ; décret 2008-244 du 7 mars 2008). Ces ACD sont définis selon deux critères :
• D’une part, les substances ou préparations listées selon la classification européenne harmonisée : explosibles, comburantes, extrêmement inflammables, facilement inflammables, inflammables, très toxiques, toxiques, nocives, corrosives, irritantes, sensibilisantes, cancérogènes, mutagènes, toxiques pour la reproduction, dangereuses pour l’environnement ; à chacune de ces catégories correspond une liste de substances et un étiquetage spécifique.
• D’autre part « tout agent chimique qui, bien que ne satisfaisant pas aux critères de classement, en l’état ou au sein d’une préparation, peut présenter un risque pour la santé et la sécurité des travailleurs en raison de ses propriétés physico-chimiques, chimiques ou toxicologiques et des modalités de sa présence sur le lieu de travail ou de son utilisation, y compris tout agent chimique pour lequel des décrets prévoient une valeur limite d’exposition professionnelle »
Des substances CMR sont donc identifiées et étiquetées comme telles, si elles figurent dans la liste définie par la classification européenne harmonisée.
5 – Classification des substances en fonction du risque CMR
Il existe plusieurs classifications des agents chimiques CMR. Une seule est règlementaire : la classification de l’Union Européenne en trois catégories. Cette classification relève aujourd’hui de la règlementation CLP (Classification-Labelling-Packaging pour Classification-Etiquetage-Emballage) entrée en vigueur le 20 janvier 2009 (règlement UE 1272/2008). Cette classification remplace celle mise en place en 1994 (annexe 1 de la directive 67/548/CEE, reprise dans l’annexe 1 de l’arrêté du 20 avril 1994 modifié). Dès 1994 déjà, 250 substances étaient répertoriées en catégorie 1 et 2, aujourd’hui dénommées 1a et 1b :
• la relation de cause à effet est certaine pour l’homme (substances de Catégorie1, nouvelle catégorie 1a) ;
• il y a une forte présomption de relation de cause à effet pour l’homme (substances de Catégorie 2, nouvelle catégorie 1b) ;
• la substance est préoccupante au regard de sa relation de cause à effet pour l’homme (substances de Catégorie 3, nouvelle catégorie 2).
Selon l’article R 4412-60 du code du travail : « On entend par agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction, toute substance ou préparation classée cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction de catégorie 1 ou 2 ainsi que toute substance, toute préparation ou tout procédé défini comme tel par arrêté conjoint des ministres chargés du travail et de l’agriculture ».
Le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC en langue française ou IARC en langue anglo-saxonne) définit cinq groupes de substances :
• cancérogène pour l’homme (substances de Groupe 1) ;
• cancérogène probable pour l’homme (substances de Groupe 2A) ;
• cancérogène possible pour l’homme (substances de groupe 2B) ;
• ne peut être classé du point de vue de son pouvoir cancérogène éventuel chez l’homme (substances de groupe 3) ;
• probablement non cancérogène pour l’homme (substances de groupe 4).
Enfin une liste de substances, préparations, produits, procédés ou situations de travail figurent dans les tableaux qui ouvrent les droits à indemnisation pour Maladies Professionnelles concernant les cancers (Code de la Sécurité Sociale et Code de la Mutualité Sociale Agricole).
Pour étudier l’exposition au risque dans une entreprise, il est important de maîtriser ces différentes classifications. Votre médecin du travail est l’interlocuteur privilégié.
6 – L’obligation de substitution
Devant sa gravité, il vaut mieux ne pas prendre de risque cancérogène, mutagène et/ou toxique pour la reproduction. S’il existe, l’idéal est de supprimer ce risque. Si cela n’est pas possible, il faut se donner les moyens de réduire au maximum l’exposition à ce risque. Ce principe de base ne prête pas à discussion. Se protéger du soleil, en montagne ou sur les plages, est devenu évident. Le code du travail rend obligatoire ce principe de base face aux produits et substances CMR au sein des situations de travail :
« Lorsque l’utilisation d’un agent cancérogène, mutagène ou toxique pour la reproduction est susceptible de conduire à une exposition, l’employeur réduit l’utilisation de cet agent sur le lieu de travail, notamment en le remplaçant, dans la mesure où cela est techniquement possible, par une substance, une préparation ou un procédé qui, dans ses conditions d’emploi, n’est pas ou est moins dangereux pour la santé ou la sécurité des travailleurs. L’employeur consigne le résultat de ses investigations dans le document unique d’évaluation des risques » (article R4412-66).
En pratique, si on est en présence d’une substance ou d’un produit figurant sur la liste européenne en tant que CMR de catégorie 1 ou 2 (nouvelles catégories 1a et 1b), l’employeur doit obligatoirement rechercher la suppression pure et simple ou la substitution par une substance ou un produit dont la toxicité est moindre. L’employeur ne peut garder le produit ou la substance à risque CMR que lorsqu’il a la preuve qu’il ne peut la supprimer ou la remplacer. Dans ce cas, il doit prendre toutes les mesures pour réduire à son maximum l’exposition aux risques de ses salariés :
• mesures techniques collectives : vase clos, captation à la source, aspiration, ventilation, etc.
• mesures organisationnelles : limiter les temps d’exposition, limiter le nombre de salariés exposés en évitant les coexistences d’activités, limiter les accès, lavage des mains, douches, vestiaires séparés (vêtement de travail et vêtement de ville), interdiction de fumer ou de manger au poste de travail, etc.
• équipement de protection individuelle : masques, lunettes, gants, vêtements, chaussures ou bottes, adaptés à la situation de travail et régulièrement entretenus.
Les opérations d’entretien et de maintenance, les procédures en mode dégradé (ex. : pannes de machine, fuites, déversements,…) doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.
7 – Inventorier, évaluer, suivre
Il faut faire l’inventaire des produits présents dans l’entreprise. Trois catégories peuvent être distinguées sur le plan opérationnel : les produits achetés et faisant l’objet d’un approvisionnement, les produits émis lors du processus de travail, les produits générés sous forme de déchets.
Pour les produits achetés, il faut se procurer les Fiches de Données de Sécurité ; il faut aussi lire les étiquettes. Elles fournissent déjà de précieux renseignements.
Une évaluation du risque CMR doit être établie. Elle doit figurer dans le Document Unique d’Evaluation des Risques (DUER), que chaque entreprise se doit d’avoir réalisé au regard de la loi pour chacune des unités de travail. L’efficacité des mesures prises doit faire l’objet d’une évaluation, reportée dans le document unique (DUER). Plusieurs méthodes d’évaluation et de suivi existent, en fonction du type d’exposition. Il peut être nécessaire de réaliser des dosages atmosphériques, voire des dosages biologiques, en application de la législation ou de protocoles éprouvés. N’hésitez pas à faire appel à votre médecin du travail !
En parallèle du suivi de l’exposition au risque CMR, le suivi de santé au travail, réalisé et piloté par votre médecin du travail, prend une importance toute particulière face au risque CMR. Pour exemple, le dossier médical doit être conservé pendant 50 ans. Cette question du suivi de santé au travail est d’actualité. L’Article 39 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement vise à assurer un meilleur suivi des salariés aux expositions professionnelles des substances classées cancérogènes, mutagènes et toxiques pour la reproduction de catégorie 1 et 2 ; ce suivi doit être expérimenté en concertation avec les partenaires sociaux.
Le salarié a deux possibilités pour faire reconnaître un cancer d’origine professionnelle. Soit il répond aux conditions de l’un des tableaux de Maladies Professionnelles Indemnisables : il établit une déclaration auprès de sa Caisse d’Assurance Maladie. Soit il ne répond pas aux conditions d’un tableau : il dépose un dossier auprès de la Commission Régionale de Reconnaissance des Maladies Professionnelles. A noter que l’amiante relève d’un fonds spécifique : le Fonds d’Indemnisation des Victimes de l’Amiante (FIVA). Enfin quand un salarié exposé à un risque CMR quitte l’entreprise, l’employeur doit lui remettre une attestation d’exposition, signée avec le médecin du travail. En effet, s’ouvre alors une période de suivi post-professionnel prévu par le Code de la Sécurité Sociale.
N’oublions pas qu’un cancer peut apparaître après un temps de latence. Les mesures de prévention réalisées aujourd’hui évitent les cancers de demain.
(Publié dans le N°17 : L'obligation de substitution) le 17/04/2012
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